La COVID-19 a été une catastrophe pour le centre-ville de Montréal : bureaux vides, rues vides, un paysage désolant. Aucune grande métropole digne de ce nom ne peut survivre sans un centre qui marche. Le milieu des affaires, sous l’égide de la Chambre de commerce métropolitain de Montréal, a récemment lancé le mouvement Relançons MTL, qui vient de publier son « Plan d’action pour renforcer le centre-ville de Montréal » qu’il faut saluer et qui est plein de bonnes idées. Dans les lignes qui suivent, je vais m’aventurer à pousser la réflexion un peu plus loin.

Je me permets de commencer avec un bref cours d’économie urbaine ; je suis prof, après tout. Pourquoi les centres-villes existent-ils ? Quelle est leur raison d’être économique ? La réponse est presque trop simple. Il y a quelques années, le Prix Nobel en sciences économiques Robert Lucas a déclaré : « What can people be paying Manhattan or downtown Chicago rents for, if not for being near other people ? » (« Pourquoi des gens sont-ils prêts à payer des loyers astronomiques pour être au centre de Manhattan ou Chicago si ce n’est pour être près d’autres gens ? »). On pourra reformuler la citation pour lire : pourquoi certaines entreprises sont-elles prêtes à payer 50 % plus cher le pied carré au centre-ville de Montréal (qu’à Laval ou sur la Rive-Sud), si ce n’est pour être près d’autres entreprises ? Les dîners d’affaires, les 5 à 7 sont le ciment qui tient le centre-ville.

Tous les acteurs tirent profit du centre-ville, ce que les économistes appellent un bien public, qui se manifeste aussi dans des valeurs foncières plus élevées, fondement essentiel de la santé financière de la Ville. Mais qui tire qui ?

À la base, c’est la concentration d’activités de bureau dans les secteurs riches en information (sièges sociaux, cabinets professionnels, finance…) qui constitue le principal moteur du centre.

Les grands restaurants y sont d’abord pour desservir une clientèle d’affaires. Peu rouvriront leurs portes sans le retour des hommes et femmes d’affaires dans leurs tours de bureaux, vrai aussi pour de nombreux commerces du centre-ville. Leur gagne-pain de base reste les travailleurs et travailleuses des bureaux du centre-ville.

Le centre-ville de Montréal profite aussi d’autres secteurs moteurs : le secteur public avec ses propres tours de bureaux (Hydro-Québec, Guy-Favreau, Complexe Desjardins…) ; l’enseignement postsecondaire (McGill, UQAM, Concordia, ÉTS…), qui, à leur tour, assurent une clientèle de base aux commerces, restaurants, cafés, etc., à proximité. Cependant, le lien avec l’animation nécessaire du centre-ville ne s’arrête pas là. Les gens d’affaires et chercheurs de passage à Montréal y sont, le plus souvent, pour se réunir avec des collègues d’ici, une population de passage (mais importante) qui elle aussi amène une clientèle pour les commerces, restaurants, hôtels, etc., du centre-ville.

Il ne faut pas, évidemment, oublier le vrai tourisme, sans lien d’affaires, et les visiteurs qui assistent à des manifestations culturelles, des secteurs moteurs aussi ; mais qui en amont dépendent des hôtels, restaurants, salles de spectacles, commerces, etc., qui pourront difficilement survivre (surtout de novembre à mai) sans, en parallèle, une clientèle d’affaires, d’ici ou de passage. C’est aussi parce que des emplois s’y trouvent que le centre garde son attrait pour de jeunes professionnels comme option résidentielle. Tout cela nous ramène fatalement à la nécessité d'avoir grands employeurs et autres entreprises à vocation nationale ou internationale (comme les startups techno) au centre-ville. Or, ce sont ces emplois dont la présence au centre est directement menacée par le télétravail, avec des conséquences prévisibles pour tout le centre-ville.

Ce n’est pas mon intention de parler contre le télétravail ; j’en profite. Mais c’est une technologie qu’il faut apprivoiser.

Les échanges face à face restent et resteront une condition essentielle de créativité et d’innovation ; certains le redécouvriront peut-être trop tard.

Outils électroniques (courriels, vidéoconférences…) et rencontres physiques, les études en management et en économie nous l’apprennent, sont des compléments et non des substituts. Dit autrement, les entreprises d’ici auront tout autant besoin d’un « vrai » centre-ville après la COVID-19 qu’avant. Rétablir au plus vite son rôle comme place d’échanges et de rencontres est dans l’intérêt collectif de tous les acteurs. Comme professeur-chercheur au centre-ville (à l’INRS, angle Saint-Denis et Sherbrooke), j’ai tout intérêt à ce que les cafés et restaurants du quartier survivent, mais pour cela, encore faut-il que mes collègues et mes étudiants reviennent.

Retrouvailles

Les actions proposées par Relançons MTL sont excellentes, ai-je besoin de le rappeler. Je pense par exemple à l’opération « Masque à masque » qui vise, par une campagne d’information, à nuancer la perception du télétravail. Alors, pourquoi ne pas faire un pas de plus, en invitant les grands employeurs du centre-ville à prévoir une semaine de retrouvailles, présence au bureau requise, à mettre en application, idéalement, dès les premiers jours de relâchement des consignes sanitaires ?

De telles réunions seront nécessaires de toute manière pour retrouver l’esprit d’équipe, sans lequel aucune entreprise ne peut survivre, et pour planifier des programmes adaptés de partage présence/télétravail. Mais pourquoi pas les formaliser durant les premiers mois de la relance et en faire des évènements récurrents, publicisés ? Et pourquoi ne pas y ajouter des petits extras sous forme de 5 à 7 entre collègues (un verre ou deux payé par le patron) ou des coupons pour des lunchs à proximité, des gestes qui seront certainement hautement appréciés par les restaurants et cafés du coin ? À chaque institution ou entreprise de trouver la formule qui lui conviendra.

Ce n’est pas du bénévolat. Il est dans l’intérêt collectif des grands employeurs (et pas seulement les grands) que le centre-ville retrouve au plus vite sa vocation comme place d’affaires ; sans rappeler la nécessité pour la Société de transport de Montréal de retrouver au plus vite sa clientèle, autre condition de relance du centre-ville. À ce titre, on pourra penser, en parallèle, à des semaines désignées de gratuité des transports publics ou encore de gratuité des stationnements au centre ; mais cela demandera des contributions des gouvernements, ce qui dépasse le sens de mes propos ici qui visent d’abord le secteur privé ; quoiqu’il pourra également y contribuer en offrant, par exemple, des passes de transport durant les semaines de retrouvailles prévues.

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