Avec plus de 2 millions de vies fauchées partout sur la planète, cette pandémie que nous ne maîtrisons pas ne cesse de nous tester. Vaincre cette épreuve, en surmonter les conséquences, exigera le plus grand esprit de fraternité humaine. Parce qu’il faut renforcer tous les gestes en faveur du vivre et du faire ensemble, le Prix Zayed pour la Fraternité humaine 2021 dévoile aujourd’hui les lauréats d’une nouvelle et prestigieuse reconnaissance annuelle.

Au drame de la pandémie, ne l’oublions pas, s’ajoute une longue liste d’autres crises galopantes tout aussi dévastatrices et préoccupantes : conflits armés, effets destructeurs du réchauffement climatique, insécurité alimentaire, migrations massives, exodes de personnes en quête d’asile et exposées aux pires dangers, escalade des discours et des crimes haineux, violences extrémistes, attentats terroristes, divisions et polarisations.

Devant ces catastrophes, deux hommes remarquables ont décidé d’unir leurs efforts avec un égal sentiment d’urgence et de responsabilité : le pape François et le grand imam d’Al Azhar. S’agissant de deux des plus importants leaders religieux, conscients de l’impact de leurs mots comme de leur considérable influence, leur choix a été de lancer, au nom du dialogue inter-confessionnel, un appel pour la paix, la coexistence respectueuse dans la diversité et contre tous les extrémismes, toutes les dérives et les déchaînements violents.

C’est ainsi qu’il y a deux ans, le 4 février 2019, ils signaient ensemble le « Document de la fraternité humaine » qui nous interpelle de manière universelle, que nous soyons ou non croyants ou pratiquants.

De ce message, à bien des égards plus mobilisateur que spirituel, est né sous la gouverne d’un comité totalement indépendant et impartial, le Prix Zayed de la Fraternité humaine. Ce prix annuel de 1 million de dollars américains récompensera des contributions exceptionnelles au progrès de l’humanité et à la promotion d’une coexistence pacifique. C’est sur cet élan que l’Organisation des Nations unies (ONU) a proclamé le 4 février, « Journée internationale de la Fraternité humaine ».

L’intention est de cultiver en tout, en nous et autour de nous, un humanisme universel, dans le respect des droits fondamentaux et des libertés, de la dignité des personnes, de l’intégrité de nos lieux de vie et de l’environnement.

J’ai le grand honneur de faire partie du jury international du Prix Zayed 2021 et d’avoir pu examiner, avec mes collègues, de très nombreuses mises en candidature de grande qualité en provenance de pays des cinq continents. Nous avons retenu deux lauréats qui sont de milieux totalement différents et que nous voudrons voir travailler ensemble.

Les membres du jury ont été bouleversés et inspirés par une mère de famille d’origine marocaine, dont il faut retenir le nom : Latifa Ibn Ziaten. Immigrée en France, de condition très modeste, cette femme que l’on pourrait qualifier d’« ordinaire » est une personne résolument « extraordinaire ».

Son jeune fils Imad a été assassiné en 2012, abattu par un autre jeune, celui-ci radicalisé et extrémiste, qui trouvera également la mort après l’attaque terroriste qu’il a commise contre une école juive de Toulouse, laissant un carnage. L’onde de choc s’est répandue sur toute la France, l’Europe et le monde.

Mais là où des programmes officiels de sensibilisation échouent ou peinent à retenir l’attention, Latifa réussit. Elle a décidé, d’elle-même, de battre la campagne, ratissant les écoles, les campus, les centres culturels et communautaires, les quartiers et les médias, pour partager son expérience des plus douloureuses.

Son plaidoyer est saisissant. Elle lutte contre l’exclusion, la discrimination, le racisme, l’indifférence qui produisent des jeunes en colère dont des organisations criminelles exploitent le désarroi et le mal-être pour les amener à commettre l’irréparable, des crimes dont ils ne sortiront pas indemnes, ni vivants. Restent des familles éplorées et des communautés dévastées. L’horreur, la terreur, la méfiance s’emparent de la société et la divisent.

En réponse, dit-elle, il faut plus d’empathie, d’équité, agir de manière responsable, individuellement et collectivement, par l’éducation, la formation, l’inclusion et le dialogue. Latifa Ibn Ziaten est amour, paix, dignité. Avec douceur et nuance, elle inspire. La citoyenneté active est son credo. Elle a fondé l’« Association IMAD pour la jeunesse et pour la paix », qui grâce aux fonds versés pour ses interventions permet de mettre en place des actions dans les quartiers populaires.

Avec Latifa, nous avons aussi choisi un homme très engagé, dont la charge est des plus lourdes. Un homme qui doit lui aussi convaincre sans relâche de l’urgente nécessité d’agir pour la paix, le développement humain et une économie durable. Il se doit pour cela de rassembler des ressources considérables, d’amener à penser collectivement, solidairement, d’engager de fructueuses coopérations. Face aux pires calamités qui jettent des populations entières dans le malheur et l’insécurité, lui, ce sont des chefs d’État qu’il doit mobiliser, ceux-là mêmes qui parfois ne pensent qu’à leurs propres intérêts, donnent dans le populisme le plus dangereux. Certains sont belliqueux, érigent des murs. D’autres sont éprouvés et tentent d’affronter les pires défis, de contenir tous les risques, veulent la paix, la justice et la stabilité, pour une prospérité inclusive et partagée. On aura reconnu António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, qui sait combien le multilatéralisme est essentiel, mais combien il est mis à mal en ces temps où le repli sur soi cherche à gagner du terrain.

En s’associant au travail de Latifa Ibn Ziaten, António Guterres donnera une plus vaste résonance au message de cette femme et plus de latitude à son engagement.

Ensemble, ils combineront mérite et expériences. Ils sauront élargir la portée de l’action fraternelle dans le monde.

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