Le nouveau président américain, Joe Biden, a fait, le jour précédent le début de son mandat, ce que je ne me souviens pas avoir vu de la part des autres leaders. Il a consacré ce que la postérité devrait retenir comme la célébration de son arrivée à la présidence à la mémoire des victimes de la COVID-19.

Au National Mall, là où on trouve aussi les monuments en rappel aux défunts de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre de Corée, de la guerre du Viêtnam, avec un chant maintenant quasi-liturgique de Leonard Cohen, il a pris avec la vice-présidente Kamala Harris un moment de réflexion et suscité un deuil national pour ses compatriotes disparus, plus de 400 000 morts aux États-Unis, ce qui, toutes proportions gardées, est relativement comparable au taux de mortalité noté jusqu’à maintenant au Québec. Pour la postérité, on associera l’entrée en fonction de Joe Biden avec un moment solennel réservé aux victimes de la plus grande tragédie depuis le début du XXIe siècle et à son intention de les garder dans le souvenir public.

J’ai déjà suggéré dans La Presse à la fin du printemps qu’un jour de souvenir et de deuil pour les victimes de la COVID-19 serait plus qu’à propos.* Non seulement par respect, mais aussi pour assurer la prise de conscience de ne pas avoir à dénombrer plus de décès. Tel ne fut pas le cas à mon avis après la première vague. Population et dirigeants se sont efforcés dès juin de reprendre des attitudes de vie normale, laissant par le fait même l’infection se répandre à nouveau de façon larvée et délaissant ceux qui étaient affligés par un deuil difficile à vivre.

J’ose prétendre que d’avoir souligné avec plus d’insistance et de dignité les absences causées par la pandémie aurait éveillé la conscience collective plus efficacement que les seuls appels de la Santé publique et du premier ministre.

Nous approchons de 10 000 décès, sans compter les laissés pour compte qui, sans attraper la COVID-19, en ont été les victimes collatérales. Bien des âmes esseulées, principalement en raison des règles de confinement générales, n’ont pas su résister au traumatisme de la perte de relations significatives, de soins, de la possibilité de consulter pour des maux qui grandissaient.

Le 13 mars, marquer le moment

Le 13 mars soulignera aussi une année de vie sociale altérée, de perte de repères collectifs à bien des égards. Il était grand temps de marquer le moment. On devrait selon moi le souligner en récitant, un par un, les noms de ceux qui n’ont pas pu résister à la pandémie. Permettons-nous d’évoquer le passé de gens qui, en d’autres circonstances, auraient eu une fin de vie plus paisible. Parce que, rappelons-le, la grande majorité des disparus sont des aînés dont plusieurs étaient en perte d’autonomie.

Je propose que pour commémorer les pertes de vies québécoises, on investisse l’Assemblée nationale, le 11 mars, date désignée par le premier ministre qui devra servir cet important pas de recueillement plutôt que de rappeler le début du confinement.

À ce moment, des gens désignés et distingués, connus pour leur engagement social et communautaire, apolitiques, pourraient réciter les noms de ceux qui sont décédés.

Il serait aussi bien à propos que nos réseaux de communication prennent le temps et s’obligent au devoir de mémoire en diffusant cet évènement, et que les gens qui assisteront portent le masque, non seulement pour respecter les règles socio-sanitaires, mais pour s’obliger au silence pendant ce recueillement.

Il reste tant à faire pour contrôler la pandémie : réduire le nombre de nouvelles infections, assurer la protection par la vaccination du plus grand nombre, prendre la mesure de tous ceux qui ont été laissés pour compte et pour lesquels nous devons rasséréner nos forces et planifier le retour à une vie « normale ».

Personnellement, à titre de médecin oeuvrant en oncologie, je ne peux passer sous silence tous ceux dont le diagnostic de cancer a été retardé ou dont le traitement a été entamé tardivement, et tous ceux qui ont dû affronter seuls la maladie à cause du contexte de confinement. J’appelle donc à ce que l’on nomme tous ceux qui sont passés de vie à trépas à cause de la COVID-19 pour ensuite relever nos manches et appliquer un plan Marshall québécois visant à permettre le droit à la vie et aux soins de tout citoyen du Québec.

Il y a raison de revisiter ce que Sartre a dit : « Ce qui est terrible ce n’est pas de souffrir ni de mourir, mais de mourir en vain. » Il importe de retenir les leçons personnelles et collectives que nous a apportées la pandémie, bien qu’elles ne soient pas évidentes dans la souffrance du deuil et de l’atteinte des libertés.

À ce moment même, tout un chacun cherche les coupables de l’expansion de la pandémie, que ce soit les fêtards, les voyageurs, les COVIDiots, les antimasques. Il y aura un moment pour jeter le blâme et distinguer les bonnes et mauvaises actions individuelles et sociétales. Par contre, je suis certain et j’espère que tous se sentiront appelés à offrir collectivement respect et déférence si nos leaders, tous partis confondus, baissent ensemble la tête pour amorcer un recueillement obligé et nécessaire en incitant tous les citoyens à faire de même le 11 mars. En relevant la tête, nous pourrons alors nous regarder dans les yeux et nous astreindre à plus et mieux pour sortir du marasme.

*Lisez « L’autre confinement, celui des endeuillés de la COVID-19 »

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