Avec un mouvement souverainiste en Alberta qui continue de prendre de l’ampleur, selon un récent sondage1, l’idée d’une république de l’Alberta devient une possibilité intrigante. Il est donc peut-être temps pour les Québécois de se demander s’ils ont un intérêt à convaincre l’Alberta de rester dans la famille canadienne ou ils devraient plutôt lui souhaiter bonne chance dans sa nouvelle aventure.

Beaucoup de Québécois auraient le réflexe de placer l’Alberta dans la colonne des provinces « riches » à cause de ses ressources pétrolières et estiment que les affaires du Canada et du Québec vont mieux avec les pétrodollars de l’Alberta qui circulent. Cependant, une lecture plus approfondie de la situation révèle que c’est peut-être l’Alberta qui dépend de la générosité des Québécois plus que son contraire.

Les faits d’abord

Malgré ses immenses réserves d’or noir, les redevances sur le pétrole de l’Alberta sont semblables aux profits annuels d’Hydro-Québec. Sur les cinq dernières années, les redevances sur le pétrole ont rapporté en moyenne 3,5 milliards de dollars par année au gouvernement de l’Alberta tandis qu’Hydro-Québec a versé 3 milliards par année durant la même période. Donc, l’argent du pétrole représente une somme considérable, mais ne fait pas de l’Alberta une superpuissance économique.

En fait, l’économie de l’Alberta traverse une période très difficile depuis des années et se dirige lentement vers la faillite. Il est vrai que la province a connu un triomphe fiscal en éliminant sa dette en 2004, mais s’est retrouvée à nouveau dans le rouge en 2008 lorsque les gouvernements albertains commencèrent une série de déficits budgétaires qui persistent à ce jour.

Dans les 12 dernières années, la province est passée de zéro à plus de 100 milliards de dette.

En comparaison, la Norvège (un pays qui produit deux fois moins de pétrole que l’Alberta) a tellement bien ménagé son argent qu’elle est aujourd’hui propriétaire d’un fonds souverain qui vaut plus de 1000 milliards de dollars, tandis que celui de l’Alberta compte 17 milliards.

Cependant, et malgré la précarité de sa situation fiscale, le premier ministre de l’Alberta essaie encore et toujours de nous convaincre que sa province fait généreusement vivre le Canada et le Québec par ses contributions à la péréquation fédérale. Mais est-ce vraiment le cas ?

Bien qu’il soit vrai que le Québec reçoit une part considérable du système de péréquation, la somme fournie par l’Alberta ne représente que 14 % du montant total ou 1,8 milliard de dollars. On est donc loin de pouvoir dire que l’Alberta finance les programmes sociaux du Québec. De fait, on pourrait même avancer que c’est le Québec qui fait rouler une bonne partie de l’économie albertaine plutôt que son contraire.

« You’re welcome, Alberta »

Depuis quelques années maintenant, le Québec achète plus de 40 % de son pétrole de l’Alberta, une transaction commerciale qui rapporte plus de 3 milliards de dollars par année à l’Alberta. Les Québécois sont aussi de très bons clients des produits albertains et achètent pour 6,4 milliards en biens et services annuellement, selon les derniers chiffres.

Et n’oublions pas que le premier ministre Justin Trudeau a acheté l’oléoduc Trans Mountain en 2019 au nom de tous les Canadiens, faisant des Québécois les deuxièmes principaux actionnaires d’un pipeline qui profitera principalement aux Albertains.

Somme toute, le Québec est un contributeur très généreux aux coffres de l’Alberta, un fait que François Legault pourrait rappeler à son homologue la prochaine fois que M. Kenney se vante de faire vivre le Québec.

Une autre mauvaise nouvelle pour l’Alberta

L’année dernière, le premier ministre de l’Alberta a tenté un pari très risqué en investissant 1,5 milliard d’argent public dans le projet d’oléoduc Keystone, qui devait transporter du pétrole albertain aux États-Unis. Plusieurs se demandaient pourquoi prendre un si grand risque étant donné que le projet agonisait depuis des années et que Joe Biden avait promis de l’annuler s’il était élu.

Lorsque le président Biden a signé l’arrêt de mort du projet la semaine dernière, les Albertains ont vu 1,5 milliard de leur argent disparaître, un autre coup dur pour l’économie de l’Alberta. Pire encore pour le pétrole albertain, le président américain vise maintenant la carboneutralité d’ici 2050.

En bref, le seul client international du pétrole albertain vient d’annoncer qu’il veut réduire sa consommation de pétrole.

Malgré cette nouvelle réalité, le premier ministre Kenney continue de se battre comme un diable dans l’eau bénite pour défendre un oléoduc qui a déjà reçu l’extrême onction et il s’acharne toujours pour lier l’avenir de sa province à une industrie vouée à disparaître.

Ses appels de guerre commerciale contre les États-Unis afin de venger la mort de Keystone témoignent d’un leader désespéré en quête de pertinence. Comme le capitaine du Titanic qui fait la sourde oreille, il fonce à toute vapeur vers l’iceberg.

Or, si l’Alberta désire sincèrement quitter la confédération, le Québec peut la laisser partir en toute quiétude. Avec une économie qui nivelle vers le bas et un premier ministre de plus en plus déconnecté de la réalité, l’Alberta a peu d’atouts dans son jeu pour établir un rapport de force en sa faveur. Elle a peut-être déjà été un moteur économique au Canada, mais l’Alberta est en voie de devenir un enfant pauvre de la confédération.

Consultez les résultats du sondage (en anglais)

* Ancien conseiller principal en affaires étrangères et sécurité nationale de Stephen Harper et conseiller principal de deux ministres des Affaires étrangères

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