Depuis quelque temps, avec l’accroissement des cas de COVID-19, la question de l’allocation des ressources et le besoin de priorisation de certains soins se pose. Le gouvernement québécois a adopté un protocole national de priorisation pour l’accès aux soins intensifs qui pourrait bientôt devoir s’appliquer, en raison des taux d’occupation et du nombre de patients en attente d’admission aux soins intensifs.

Il est prévu dans le protocole qu’à 200 % de saturation de la capacité de base des soins intensifs, il doit être mis en application. Il est compréhensible que la population s’en soit inquiétée et que tant le protocole que son application soient remis en question par plusieurs.

Il est important de préciser que l’élaboration du protocole n’a pas été improvisée. La priorisation des soins et l’allocation des ressources sont des sujets qui sont discutés et analysés depuis fort longtemps, dans la communauté médicale, mais aussi juridique. Par exemple, dès 1989, la Revue de droit de l’Université de Sherbrooke y consacrait un numéro entier. Sous l’angle de l’éthique, on y faisait mention de la nécessité que la priorisation des soins se fonde, de manière objective, sur les principes de justice et d’équité.

Le protocole est inspiré, notamment, d’autres protocoles qui existent déjà ailleurs, et s’appuie sur des recommandations de l’Association canadienne de protection médicale et des considérations éthiques et d’équité formulées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Dans sa dernière version, un effort particulier a été fait pour éviter toute discrimination quant aux critères retenus.

Le protocole n’a pas fait l’objet d’une consultation publique et certains s’en offusquent. On pourrait discuter de l’opportunité d’une telle consultation sur un sujet aussi complexe et si chargé émotionnellement. Selon nous, bien qu’utile, dans la mesure où les répondants ont été préalablement bien informés avant de se prononcer, l’opinion publique ne saurait remplacer les conclusions des experts, éthiciens, cliniciens et juristes. Nous concourons cependant à la nécessité non seulement de rendre publics les critères établis, mais aussi d’en expliquer à la population les divers éléments et les valeurs promues.

Certains contestent aussi la légalité du protocole, parce qu’il serait contraire au droit à la vie, consacré par la Charte canadienne des droits et libertés. Depuis le fameux arrêt Carter de la Cour suprême, qui a permis l’aide médicale à mourir, dans certaines conditions, on sait que la Charte ne protège pas la vie à tout prix et que des éléments comme l’absence de qualité de vie anticipée ou l’autodétermination entrent en ligne de compte dans l’appréciation de ce droit, il n’est donc pas absolu.

L’intérêt public et la nécessité d’adopter des règles de priorisation de certains soins se justifient s’il apparaît, de façon absolument claire, qu’il y a impossibilité de prodiguer ces soins « extraordinaires » à toutes les personnes en ayant besoin. Cette pandémie mondiale, dans son ordre de grandeur et la sévérité des symptômes qui s’y rattachent, serait, d’après nous, de l’ordre d’un évènement imprévisible et irrésistible, c’est-à-dire d’un cas fortuit.

Mais quelle que soit la qualification, si l’impossibilité est prouvée, il est justifié d’adopter des critères de priorisation raisonnables plutôt que de laisser la sélection des patients au hasard, et cela afin d’assurer une meilleure protection de la vie et la santé au niveau de la communauté.

Ces critères doivent être conformes à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés : soit d’avoir un objectif valable, de ne brimer le droit des personnes que dans une moindre mesure, d’être rationnels et raisonnables, d’être proportionnels à la menace. Dans ce contexte, le protocole paraît se conformer aux conditions requises et donc être conforme à la Charte canadienne.

Mais la légalité ou l’opportunité de la mise en application des critères de priorisation ne sont pas les seuls aspects du problème. En effet, dès le début de la pandémie, des sources fiables nous ont rapporté que dans les RPA (résidences pour personnes âgées), dans les CHSLD ou dans les ressources intermédiaires, la tendance a été de transférer automatiquement les cas de COVID-19 dans des établissements de soins aigus, sans respecter leur volonté auparavant exprimée. Et c’est là que le bât blesse !

En effet, dans bien des cas, pour ne pas dire dans la plupart des cas, les personnes qui sont hébergées dans ces institutions ont déjà fait valoir leurs volontés – soit verbalement à leurs proches ou dans un mandat de protection, dans une directive médicale anticipée ou encore dans un formulaire de niveau de soin qu’elles (ou leurs représentants) ont signé – de ne pas recevoir de soins « extraordinaires » et de ne pas être transférées dans un établissement de soins aigus. Devant la forte probabilité qu’elles y meurent isolées, intubées, nourries artificiellement, dans un climat déshumanisé, elles ont estimé préférable de recevoir de bons soins et, le cas échéant, des soins de fin de vie, dans leur milieu de vie, et de voir leur souffrance soulagée dans un climat de sérénité et en pouvant être accompagnées de quelques membres de leur famille.

Traiter les personnes dans leur milieu de vie, lorsque c’est ce qu’elles veulent, serait aussi une façon de prévenir l’entrée en vigueur du protocole, puisque cela limiterait les demandes d’admission aux soins intensifs.

C’est là que le gouvernement doit prendre des mesures pour que les droits des personnes à des soins appropriés et de qualité soient mieux respectés, dans le respect de l’autonomie décisionnelle de ces personnes. Il faut absolument éviter que les situations tragiques connues en début de pandémie ne se reproduisent.

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