Un soir, mon voisin Jan est venu me voir. J’étais alors étudiant, simple ouvrier d’été à la ferme. Jan exploitait la grande ferme laitière à côté, avec sa femme. Ils avaient deux jeunes enfants.

Jan roulait une cigarette et ne disait pas grand-chose, comme le font les hommes de la terre. Je lui ai demandé si la traite était faite. « Oui. »

On était dans les années 70, mais dans le village, situé dans la Bible Belt des Pays-Bas, avançait plus lentement vers la modernité. Les habitants fréquentaient une des églises protestantes du village, du village voisin, ou encore de la ville plus au nord, selon l’interprétation par le pasteur de la Bible et des enseignements de Calvin. Deux fois chaque dimanche ! Tous vêtus en noir, tandis que les femmes portaient un chapeau.

Ils ne m’y voyaient pas. Je venais de la ville, je n’appartenais à aucune dénomination et, par conséquent, je ne deviendrais jamais un des leurs. Mais, comme on me connaissait depuis une décennie, on me parlait. Même les illuminés, ceux à qui Dieu avait parlé, me saluaient. Je comprenais le dialecte, mais je ne le parlais pas.

Je pensais savoir ce que Jan voulait, mais je devais patienter. Ce qu’il avait sur le cœur était insupportable.

– As-tu entendu dire qu’il y a une campagne de vaccination ces jours-ci ?

– Oui.

– Qu’en penses-tu ?

– Tu sais Jan, je suis vacciné depuis mon très jeune âge.

– Également contre la polio ?

Voilà, le chat sortait la pointe de son nez du sac.

– Oui, Jan. Toi ?

– Non, le pasteur nous l’interdit parce que Dieu n’en parle pas dans la Bible.

Jan, qui ne possédait pas de télévision pour la même raison, en roulait une autre.

Il y avait une de ces épidémies récurrentes de polio dans la région. Quelques dizaines de cas. Des éclosions dans les écoles. Des enfants tombaient malades. Leur vie en serait affectée pour toujours, souvent gravement.

Les médecins de famille de la région avaient compris comment s’y prendre. Une clinique, deux villages plus loin, hors de la vue des autorités morales, ouvrait ses portes tous les soirs. Le médecin posait les questions nécessaires, mais le patient restait anonyme. Le vaccin était gratuit.

Jan avait peur pour sa famille. Il demandait mon conseil. Je lui ai expliqué ce que je savais de la maladie : la notaire du village avait eu la polio 25 ans plus tôt. Son exemple était plus que parlant pour tous ceux qui la rencontraient à l’épicerie. Donc, le risque était clair, quant à l’impact de la maladie et de la probabilité de la contracter.

Alors, je lui ai dit d’évaluer comment il se sentirait si un de ses enfants en était atteint. Par ailleurs, comment il se sentirait si, après avoir décidé de les faire vacciner, les gens de l’Église l’apprenaient.

Il m’a remercié et il m’a laissé. Je n’ai jamais su la suite, mais je sais que les enfants de Jan ne sont pas tombés malades.

Ces jours-ci, notre dilemme concerne la vaccination contre la COVID-19. Beaucoup de gens sont inquiets. Souvent, ils disent envisager de se faire vacciner, mais vouloir attendre encore un peu. On n’en sait pas encore assez des vaccins, disent-ils.

Encore une fois, c’est d’abord une question d’impact. L’impact de la maladie est énorme. Certains mourront, tandis que pour plusieurs autres, le reste de leur vie sera affecté. Des aînés, des personnes avec des problèmes respiratoires ou cardiaques et autres maladies, dont le surpoids, mais également des jeunes en parfaite santé, tous sont à risque.

Mais c’est également une question de probabilité qu’on subisse ce sort. Or, l’expérience de nos voisins du Sud nous apprend que si on ne fait rien, on y passera quasiment tous.

Les campagnes de vaccination contre la rougeole et la polio nous ont appris l’efficacité des vaccins et l’urgence d’un taux de vaccination élevé. La science nous a appris la probabilité extrêmement faible de complications après ces vaccinations.

Je vous invite à comparer les ravages certains de la COVID-19, auprès de vos collègues, vos parents, vos grands-parents, avec les risques inconnus des vaccins qui arrivent sur le marché. Et je vous demande si, peut-être inconsciemment, vous vous permettez d’hésiter sachant que d’autres se feront vacciner, ce qui réduit votre risque.

Donc, prenez votre courage à deux mains, respirez fort, roulez votre manche et faites-vous vacciner.

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