Il est de bon ton de frapper sur la tête des voyageurs et des gens qui trichent ces derniers temps. Moi-même, je l’ai fait : je suis l’auteur d’une lettre ouverte (« Cher tricheur »*) adressée aux voyageurs que vous avez sans doute lue pendant les Fêtes.

Cela étant dit, je refuse d’en faire mon cheval de bataille. Oui, ça me fâche ; oui, je suis découragé. Mais je ne reste jamais fâché bien longtemps. Vous savez pourquoi ? Parce que je ne sais pas comment les gens se seraient comportés si on leur avait fourni de meilleurs outils pour se responsabiliser. Auraient-ils fait les choses autrement si on avait été plus limpide et transparent avec eux ?

Au cours de l’année précédente, j’ai observé des amis, des proches et des connaissances céder à un ou plusieurs biais cognitifs afin de pouvoir faire entorse aux consignes sanitaires l’esprit en paix. Certains de bonne foi, d’autres non. Je me suis complètement vidé à jouer au directeur de santé publique auprès de mon entourage qui ignorait ou banalisait des règles d’hygiène qui me paraissaient pourtant élémentaires.

Plusieurs semblaient croire qu’il était sécuritaire d’entrer chez les gens sans masque ni distance à condition de se désinfecter les mains en entrant et en sortant. C’était permis après tout.

Combien de groupes d’amis ont préconisé les activités extérieures, mais s’y sont rendus à huit entassés dans le même véhicule sur une période prolongée à deux heures de route de Montréal ?

J’ai même dû avoir des discussions difficiles avec mes parents qui ne disposaient pas de toutes les informations nécessaires pour éviter de se mettre en danger.

Les erreurs du déconfinement

On a mis le paquet pour nous déconfiner, mais ce déconfinement manquait sérieusement de pédagogie et de cohérence.

Déjà, en début de crise, le gouvernement de François Legault s’est montré hostile à la Prestation canadienne d’urgence (PCU). À peine venions-nous d’encaisser le premier versement que le provincial martelait quasiment qu’il vaudrait mieux y renoncer et commencer à distribuer des curriculum vitae.

Des citoyens n’ayant pas perdu leur emploi se sont retournés contre ceux qui avaient accepté l’aide offerte par Justin Trudeau. Les déclarations de la CAQ n’ont certainement pas dû aider. Les bénéficiaires de la PCU ont rapidement été stigmatisés, traités de paresseux, de peureux et de profiteurs du système. On se sentait coupables de prendre cet argent pour souffler un peu et s’accorder le temps nécessaire pour se remettre du traumatisme. La peur du virus ou de contaminer un proche tenait de moins en moins la route avec ce genre de déclaration, qui nous poussait à retourner au travail coûte que coûte.

On a accepté de se déconfiner sans plan précis pour protéger les personnes comme mon père, sexagénaire et diabétique, qui allaient se retrouver à devoir garder leurs petits-enfants au retour de l’école. Le DHoracio Arruda avait même annoncé, contre toute attente, que les personnes dans la soixantaine allaient pouvoir recommencer à enseigner.

Dès le lendemain, le DArruda a annoncé qu’il était désormais permis pour les sexagénaires de garder leurs petits-enfants. Tout pour exacerber mon anxiété.

J’avais donc fait cette pédagogie auprès de mes parents pour rien ? Ce n’était pas pour eux, entre autres, qu’on faisait ça à la base ?

On s’est déconfinés sans masque pendant près de deux mois. C’était le free-for-all. J’hyperventilais rien qu’à passer devant la crèmerie du coin, qui était toujours bondée de clients non masqués et non distancés bien qu’elle soit plus petite que ma chambre.

On tend à l’oublier, mais, avant que le port du masque ne soit rendu obligatoire dans les lieux fermés, ceux qui le portaient se faisaient dévisager, parfois injurier et tousser dessus.

On a aussi accepté de se déconfiner sans avoir discuté au préalable d’enjeux cruciaux comme celui de la ventilation dans les écoles, de la transmission par aérosols, des voyages dans le Sud et des éventuels rassemblements des Fêtes. On n’a même pas été foutus de tirer profit de ce long répit pour préparer la suite, éduquer les gens et exiger mieux de la part des autorités. Ce qui importait à ce moment-là, c’était de planifier les vacances estivales et décrocher de tout. On a attendu à la dernière minute et on a paniqué.

Heureusement qu’on avait des journalistes comme André Noël et Aaron Derfel qui n’ont jamais lâché le morceau quand tout le monde était trop occupé à se baigner en Gaspésie.

Nous étions plusieurs à qui le fardeau revenait d’expliquer aux proches que la distance recommandée en endroit clos ne tenait plus puisque le virus circulait dans l’air et pouvait se propager au-delà des 2 mètres préconisés. Être à l’écoute de la science et invoquer le principe de précaution nous a valu d’être gaslightés, infantilisés et traités de peureux pendant des mois.

On a laissé les gens se rassembler sans daigner leur transmettre cette information. On a laissé grand-maman de 83 ans bruncher avec toute la famille au restaurant du coin sans qu’elle sache les risques associés à ce type d’activité.

À un moment pendant l’été, je me suis arrêté pour me demander si je ne prenais pas ce virus plus au sérieux que la Santé publique elle-même.

J’étais constamment dans l’attente de LA déclaration qui allait me donner une pause d’éduquer les gens autour de moi. On ne m’a jamais autant fait sentir que j’étais dans le tort de me ranger derrière la science.

On a été déconfinés longtemps. Assez pour s’enfoncer bien profond dans le déni et observer un relâchement généralisé. Ça n’a pas empêché le gouvernement d’annoncer à quelques semaines de la rentrée automnale que les rassemblements de 250 personnes étaient désormais autorisés alors que la question de la ventilation en classe et des grands-parents n’avait pas encore été réglée.

Voilà encore ici un exemple de décision qui sème la confusion et fournit des munitions à ceux qui s’agrippent à la première incohérence pour légitimer des relâchements.

Ces déclarations confuses, ces demi-mesures et cet ordre des priorités plutôt discutable nous ont divisés, épuisés et amenés à nous blâmer mutuellement. Pendant près d’un an. Il est temps que ça cesse.

C’est mon métier d’aller au-devant des coups en me renseignant adéquatement et en me méfiant de mes propres biais notamment, pas forcément ceux de mes concitoyens. Tout le monde ne part pas du même endroit ni n’est outillé de la même façon pour faire face à une pandémie.

Il est temps de fournir aux gens les bons outils.

* Lisez « Cher tricheur »

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