Un jour, j’ai lu dans un bouquin que certains chercheurs en intelligence artificielle craignent qu’avant la fin du siècle, les machines fabriquées par les humains deviennent plus intelligentes que leur créateur. En cause, grâce aux révolutionnaires nouvelles puces électroniques, moins énergivores qui arrivent sur le marché, on commence à pourvoir les machines d’une capacité d’apprendre par eux-mêmes, d’innover et même d’auto-amplifier leurs aptitudes. Ces super-machines, douées d’une vitesse d’évolution très rapide, pourraient un jour représenter une menace, craignent certains scientifiques. Resteront-elles toujours fidèles à leur créateur ou au contraire deviendront-elles dangereuses pour l’humanité ?

Évidemment, comme on est encore loin de ce rendez-vous bien hypothétique, personne ne peut donner une réponse définitive à cette grande question que la science-fiction avait déjà vue venir. Crainte fondée ou non ? Je ne sais pas. Mais cette histoire de nouvelles intelligences qui pourrait éventuellement se retourner contre leur créateur me rappelle un peu la relation entre Trump et le Parti républicain.

En effet, quand j’entends des élus de cette formation raconter qu’ils ne pouvaient jamais imaginer voir ce qui s’est passé le 6 janvier dans le temple de la démocratie américaine, j’ai presque envie de rigoler. Comment peuvent-ils ne pas comprendre les conséquences d’un phénomène dont ils sont la cause principale ? Cette tentative de sédition qu’ils trouvent surprenante n’est que l’aboutissement de leurs quatre années de complicité tacite ou ostensible avec les salves de Donald sur les institutions démocratiques américaines. Combien de fois a-t-on entendu dire que le président venait de franchir la ligne rouge ? Pourtant, avec la bénédiction des élus républicains, Trump a fini par comprendre qu’aucune ligne rouge, si sacrée soit-elle, n’était infranchissable quand on sait bien manier l’intimidation comme outil de contrôle. Aussi, dès qu’on s’éloigne de sa volonté, il dégaine.

Parlez-en à Mike Pence, son fidèle. Il vient de réaliser à la dure que la loyauté ne fait pas partie du vocabulaire du Grand Intimidateur quand on n’est pas prêt à violer la loi pour répondre sur commande à ses désirs autocratiques.

Si votre enfant a déjà été intimidé, vous savez certainement que le bourreau trouve toujours des adeptes pour cautionner, taire et même encourager son entreprise maléfique en échange de privilèges dans la cour d’école. Parfois, parmi les complices, il y en a qui se sentent mal à l’aise, mais la peur de subir les foudres du méchant les fige. Ils ravalent alors leur indisposition et s’autoflagellent intérieurement de ne pas avoir le courage de leurs convictions. À côté de ces complices passifs ou actifs, il y a aussi des justes, comme le sénateur John McCain qui s’est toujours tenu debout devant le Grand Intimidateur. Une droiture qu’il a payée chèrement, car Donald l’a insulté jusqu’à sa mort. Même longtemps après son enterrement, il a continué à cracher son venin sur sa dépouille. Il y a aussi le sénateur Mitt Romney, qui a refusé honorablement d’être complice des méthodes mafieuses du président. Ce valeureux a même voté pour sa destitution en expliquant clairement que ses petits-enfants ne lui pardonneraient jamais d’avoir été du mauvais côté de l’histoire pour satisfaire des ambitions politiques personnelles.

PHOTO ROBERTO SCHMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des partisans de Donald Trump à Washington, le 6 janvier

À part ces rares exceptions, tous les autres sénateurs républicains qui ne voyaient pas arriver ce 6 janvier ne sont que des hypocrites qui ne veulent pas reconnaître leur grande part de responsabilité dans la radicalisation de cette machine assoiffée de pouvoir dont ils ont perdu le contrôle. En effet, ils sont nombreux à avoir passé les quatre dernières années à faire croire à Trump que ses flatulences sentaient la vanille et qu’il pouvait s’octroyer tous les droits. Pourquoi ? Pour avoir des privilèges ou ne pas s’attirer sa furie. Comme dirait mon grand-père, si le pouvoir poussait au sommet des grands arbres, certains de ces républicains lécheraient des culs de chimpanzés pour les aider à l’atteindre plus vite.

Si vous voulez mettre une image sur ce type de politicien, pensez aux sénateurs Ted Cruz et Lindsey Graham. Ces élus qui s’indignent devant cette tentative de sédition ont aidé le Grand Intimidateur à bâtir cette armée de marginaux blancs radicalisés qui semblent désormais prêts à tout pour défendre leur gourou.

Il est important de mentionner ici que ces hurluberlus qu’on a vu défiler sont une infime partie des radicaux que les médias surévaluent. Ils ne sont aucunement représentatifs des 74,22 millions de personnes qu’on pense faussement être des supporters de Trump parce qu’ils ont voté pour lui. La grande majorité de cet électorat n’a pas voté pour la personne de Trump, mais plutôt pour le véhicule républicain qu’il représentait. Beaucoup d’électeurs se sont simplement pincé le nez avant de le choisir parce que les politiques de droite font partie de leur ADN. À côté de son armée d’irréductibles, gageons que la grande masse de votants qu’il considère comme ses supporters savent qu’il a perdu légalement ses élections. En cause, ces gens ne sont aucunement des disciples du gourou et ne sortiraient pas dans une ruelle pour soutenir ce monstre d’ego, même s’il devait aller en prison.

Les élus républicains eux, sont tombés majoritairement entre les griffes du monstre dont ils ont généreusement engraissé l’ego, qu’ils ne savaient pas être un gouffre sans fin. Malgré toutes ces dérives dictatoriales, certains n’ont pas hésité à le racoler jusqu’à ce jour de certification des résultats en pensant à ce qu’il pourrait leur apporter en 2024. Alors, même s’ils font semblant de ne pas comprendre, ils savent très bien qu’ils ont largement permis à Trump de mettre la main sur leur parti en instrumentalisant ceux qui ont défilé dans le Capitole. C’est cette frange blanche frustrée et majoritairement incapable d’accepter l’évolution démographique du pays qui est le bras armé du Grand Intimidateur. Quand ils entendent le gourou promettre à l’Amérique sa grandeur, ils comprennent qu’il veut redonner à l’Amérique sa blancheur. Pourtant, il faudra qu’ils acceptent la réalité, car l’ajout de nuances de couleurs à l’Amérique est là pour de bon. Autrement dit, il leur faudra oublier les privilèges du passé et réaliser qu’il est fini le temps où ils n’avaient pas besoin de se comparer à ceux qu’ils regardent de haut pour réussir dans la vie.

D’ailleurs, il est surprenant de voir comment Donald a facilité et encouragé cette invasion du Capitole à ses disciples, là où, une bible à la main, il proposait de déployer l’armée pour livrer une « guerre urbaine » au mouvement Black Lives Matter au nom de la loi et de l’ordre.

Des manifestants contre le racisme qui, il faut le souligner, étaient pourtant loin d’être aussi insurrectionnels que son armée qui cherche à changer la volonté populaire pour lui offrir son rêve décomplexé de posséder une république.

Après la victoire de Barack Obama de 2012, grandement facilitée par le vote des jeunes, des femmes et des minorités culturelles, le Parti républicain avait décidé de faire une introspection. Au centre des grandes recommandations de cette vaste consultation trônait la nécessité de tendre la main aux minorités culturelles, aux jeunes et aux femmes. Les républicains voulaient prendre ce virage salutaire, car le fait de compter sur le traditionnel vote des Blancs réduisait leur marge manœuvre dans cette Amérique à la composition démographique changeante à grande vitesse. Le parti marchait vers ce chemin de la sagesse quand y débarqua victorieusement le Grand Intimidateur, qui avait fait ses classes dans les téléréalités.

Devant cet agressif prêt à tout pour garder le pouvoir, même ses détracteurs finirent par serrer les rangs par pur opportunisme ou lâcheté. Pour la main tendue aux minorités et aux femmes, le suprémaciste et misogyne trouvera très vite une solution de remplacement. Avec ses méthodes mafieuses, il décida que l’intimidation, la manipulation, le mensonge, les manigances judiciaires et politiques pour empêcher les minorités visibles de voter, le conspirationnisme et l’instrumentalisation de la fibre blanche conservatrice pourraient satisfaire durablement ses rêves de monarque. On connaît la suite. La scène finale de cette comédie dramatique qui a duré quatre années, symbolisée par l’invasion du Capitole, a révélé au monde entier la grande vulnérabilité de la démocratie américaine.

Comment une grande nation comme les États-Unis en est-elle arrivée là ? Une bonne partie de la réponse est certainement dans cette citation que certains attribuent à Abraham Lincoln. « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance pour voir. »

Chose certaine, tous les régimes autocratiques et liberticides de la planète trouvent désormais dans la présidence de Trump, ses fausses allégations de fraudes électorales massives et son projet d’insurrection avorté, des outils de propagande inespérés et d’une grande efficacité. J’imagine malheureusement bien le régime de Pékin dire à ses citoyens : « Regardez bien cette Amérique dont le système public d’éducation est en décrépitude, cette Amérique pitoyable dans sa lutte contre le virus, cette Amérique qui est incapable de vacciner efficacement sa population, cette Amérique qui affiche plus de 3000 morts de la COVID-19 par jour pendant que son président joue au golf, cette Amérique plus que jamais divisée par le racisme et le communautarisme, cette Amérique si riche et si pauvre, cette Amérique qui préfère laisser mourir ses citoyens qui ne peuvent pas se payer une assurance maladie, cette Amérique où on peut répandre les croyances les plus abruties et fédérer beaucoup de gens autour d’elles… Regardez cette Amérique et dites-vous que c’est aussi ça que donne cette liberté dont vous rêvez tant. »

Le labo du Parti républicain a fabriqué un monstre qui a désormais infecté beaucoup d’Américains et même contaminé une partie de la planète. Dans quelques jours, ce sera la fin de son règne et les adeptes de théories du complot qui l’adorent pourront enfin découvrir ce qui se passe quand un dangereux coronavirus s’échappe d’un laboratoire. Avec la colère qui sort des oreilles de la version mutante de Donald qui sera désormais sans couronne, beaucoup d’élus républicains devront envisager un confinement après le 21 janvier pour échapper à sa virulence.

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