En regardant le dernier Bye bye, j’ai trouvé réjouissante la présence d’acteurs des minorités culturelles. Mehdi Bousaidan faisait partie des têtes d’affiche, alors que Widemir Normil et Preach ont été les acteurs principaux de deux sketches. Il faut aussi souligner la volonté des créateurs du Bye bye d’inclure parmi les auteurs, les réalisateurs et les acteurs de soutien plusieurs personnes de la communauté noire. L’émission a reçu une grande majorité de critiques élogieuses, et les spectateurs semblent l’avoir grandement appréciée. Je n’ai pas vu de commentaires négatifs sur cette approche plus inclusive.

Depuis deux ans, il y a aussi une présence accrue des membres des communautés culturelles dans les séries télévisées, au théâtre, au cinéma et dans les publicités.

Nous assistons à une véritable révolution, une avancée fulgurante concernant la représentativité des minorités visibles dans les œuvres de fictions québécoises, tous médias confondus. C’est un peu comme si, à ce niveau, le Québec entrait dans une modernité et que nous en étions tous plus riches.

Mais cette prise de conscience de nos créateurs, auteurs, réalisateurs, télédiffuseurs, producteurs, directeurs artistiques, hommes et femmes, ne s’est pas faite sans heurts.

À l’été 2018, nous avons été collectivement choqués par la manifestation devant le Théâtre du Nouveau Monde alors qu’un petit groupe protestait contre la présence d’acteurs blancs jouant des esclaves noirs dans la pièce SLĀV.

Les manifestants étaient furieux, cela faisait des années qu’ils revendiquaient une plus grande place sur les planches et les écrans québécois, et de voir des Blancs jouer des Noirs, de voir les chants de leurs ancêtres arrangés et mis en scène par des Blancs leur était insupportable.

Une écrasante majorité des penseurs, éditorialistes, chroniqueurs et créateurs québécois ont exprimé avec force leur indignation devant les manifestants et les intellectuels issus des communautés noires qui les défendaient. On leur a reproché leur trop grande colère, la langue dans laquelle certains l’exprimaient (en anglais) et de prôner la censure, de brimer la liberté artistique, d’être des ayatollahs de la rectitude, de vouloir imposer le silence, d’être des intégristes de gauche, de verser dans le dogmatisme et le fanatisme, l’impérialisme anglophile, l’intimidation, le racisme et la haine antiblanche, voire de promouvoir l’apartheid et le « lynchage » ! 1.

Bref, les manifestants et ceux qui les défendaient ont vécu des moments pénibles. Certains ont perdu leur emploi, d’autres ont reçu des milliers de messages haineux, et même des menaces de mort.

Faire évoluer le Québec

Deux ans et demi plus tard, il est maintenant clair que ces jeunes (ils le sont tous) ont réussi à faire évoluer le Québec.

En ce moment, l’immense majorité des créateurs que je côtoie se demandent systématiquement si leur œuvre est représentative de la société dans laquelle ils l’ont située, et c’est devenu un automatisme de voir en audition des membres des communautés culturelles pour presque toutes les productions télévisuelles, cinématographiques et théâtrales. Je n’ai jamais entendu personne se plaindre d’un manque de liberté de création, ni même d’une autocensure forcée.

Robert Lepage, une fois la poussière retombée, a reconnu son erreur avec l’intelligence et la compassion dont il a toujours su faire preuve.

De mon côté, la réflexion provoquée par les revendications du groupe de manifestants m’a fait reconsidérer la distribution de mon film Menteur. Et j’ai eu la chance de travailler avec le talentueux Didier Lucien.

Personnellement, chaque fois que je vois une œuvre plus représentative, j’ai l’impression que ça nous fait du bien collectivement. Notre ouverture nouvelle était nécessaire et elle s’est faite avec une rapidité impressionnante, comme si le message qu’on nous a lancé, après les déchirements, avait résonné fort en nous car nous sentions qu’il était juste.

Aucun changement de société ne se produit sans affrontements, et c’est ce qui s’est produit à l’été 2018.

Dans un scénario, les manifestants seraient considérés comme les héros de l’histoire, des protagonistes qui ont fait évoluer leur société vers une plus grande ouverture d’esprit.

Au lendemain d’un Bye bye inclusif vu par plus de 4 millions de Québécois, il me semble qu’il serait bon de faire une mini-réparation, d’effacer l’opprobre que les manifestants ont subi et de les remercier du courage dont ils ont fait preuve.

Alors merci à Marilou Craft, Elena Stoodley, Ricardo Lamour, Lucas Charlie Rose, Mikayla Harris et James Oscar.

Merci aussi à ceux qui ont joint leur parole à la leur : Quincy Armorer, Webster, Kattia Thony, Émilie Nicolas, Fabrice Vil, Moses Summey et les membres de Nomadic Massive.

Vous nous avez fait grandir.

* Émile Gaudreault est émissaire de Diversité artistique de Montréal (DAM)

1 Lisez « SLĀV : une analyse de contenu médiatique centrée sur le concept d’appropriation culturelle »

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