Le 23 novembre dernier, à Paris, je disais à un collègue européen que la situation épidémiologique du Québec était enviable. La campagne de vaccination des 12 ans et plus était plus avancée que dans la plupart des pays du Nord. Le passeport vaccinal était exigé pour participer à des activités non essentielles. En plus, nous venions tout juste de prendre rendez-vous pour l’administration de la première dose du vaccin pédiatrique à nos deux enfants.

Si le variant qui succédera un jour ou l’autre à Delta peut nous laisser deux ou trois mois de plus, ai-je ajouté, nous pourrons sans doute vivre avec le virus sans trop de désagréments. Le lendemain, j’entendais parler du variant Omicron pour la première fois. Moins d’un mois plus tard, l’INSPQ nous apprend que sa prévalence au Québec dépasse déjà 80 %. La douche est glaciale.

Il est difficile de ne pas être abattu. Les hospitalisations grimpent alors que le personnel de la santé est à bout de souffle. Les rassemblements à l’intérieur avec les amis et la famille pendant les vacances de Noël doivent être évités. Mon cœur se brise en mille morceaux lorsque je m’imagine annoncer pour la deuxième année de suite à ma préado – une véritable bête sociale – qu’elle ne pourra probablement pas célébrer son anniversaire fin janvier de la façon souhaitée.

La vague Omicron

Reste-t-il des raisons (rationnelles) d’espérer pouvoir renouer avec une vie sociale plus riche dans un avenir relativement rapproché ? Que peut-on faire pour limiter les dégâts de la vague Omicron ?

On sait que le nouveau variant, en raison des mutations affectant la protéine spicule du SARS-CoV-2, arrive à infecter les personnes adéquatement vaccinées en plus des non-vaccinés. Les personnes vaccinées, toutefois, sont beaucoup moins susceptibles d’avoir une forme grave de la COVID-19.

Au moment d’écrire ces lignes, les personnes non adéquatement vaccinées étaient 15 fois plus à risque d’être hospitalisées à la suite d’une infection que celles qui sont adéquatement vaccinées.

Or, notre problème collectif principal est le risque que notre système de santé ne puisse plus soigner correctement les personnes hospitalisées en raison de la COVID-19 ou d’autres problèmes de santé. L’extraordinaire contagiosité d’Omicron met en danger à la fois les personnes non adéquatement vaccinées et celles pleinement vaccinées dont le système immunitaire est plus fragile (et qui n’ont pas encore reçu une dose de rappel).

La vaccination obligatoire

C’est dans ce contexte que l’Autriche, par exemple, imposera en principe la vaccination à partir du mois de février, et que le président Macron et le chancelier Scholz jonglent avec l’idée de la vaccination obligatoire. Que doit-on en penser, d’un point de vue éthique ?

La vaccination est la grande responsable de l’impressionnante amélioration du ratio entre les cas quotidiens d’infection et les hospitalisations. L’augmentation de cet écart est essentielle à la fin de la pandémie et au début de l’ère où le SARS-CoV-2 sera endémique. Mais cela rend-il la vaccination obligatoire éthiquement acceptable ?

Commençons par essayer de saisir en quoi consiste la vaccination obligatoire. Il me semble probable que nombre de ses défenseurs ont plutôt en tête une extension des domaines d’application du passeport vaccinal. Je suppose que personne n’a envie de vivre dans un pays où des agents de l’État injectent de force un vaccin dans le corps de personnes récalcitrantes. Même la proposition moins outrancière d’imposer des contraventions aux non-vaccinés semble exagérément autoritaire. Il apparaît plus mesuré d’exiger une preuve de vaccination dans un plus grand nombre de contextes, dont, par exemple, les milieux de travail et les salles de cours dans les établissements d’enseignement postsecondaire.

Je fais partie de ceux qui très tôt dans la pandémie ont soutenu que l’usage d’un passeport vaccinal était éthiquement justifié. J’ai toutefois proposé que la preuve d’immunisation soit employée seulement dans le contexte d’activités non essentielles afin de réduire le préjudice causé aux personnes non vaccinées, qui ne pourraient se prévaloir du même ensemble de possibilités que leurs concitoyens vaccinés.

Les décisions de santé publique ont une dimension tragique depuis le début de la pandémie en ce sens qu’elles ont généralement un coût éthique important. Même les meilleures décisions ont des impacts négatifs sur certaines catégories de citoyens. Le temps est-il venu d’étendre le champ d’application du passeport vaccinal ? Il est malheureusement le temps d’y réfléchir. Il faut souhaiter de tout cœur que les mesures annoncées dans les derniers jours combinées à l’administration des doses de rappel et à la vaccination des moins de 12 ans soient suffisantes pour réduire la transmission et, surtout, les hospitalisations. Si elles s’avèrent insuffisantes, des mesures plus musclées seront nécessaires. Éviter le dépassement des capacités hospitalières est un impératif moral catégorique.

L’après-pandémie

Il y aura un après-pandémie. La combinaison des campagnes de vaccination et des infections naturelles fera un jour en sorte qu’il restera bien peu de personnes dont le système immunitaire sera entièrement naïf. De plus, la découverte de médicaments efficaces devrait réduire la durée moyenne des hospitalisations. Malheureusement, des personnes non vaccinées ou immunodéprimées succomberont au virus d’ici là.

Bref, il faut se serrer les coudes et tenir bon. Les personnes non vaccinées doivent savoir que l’étau se resserrera sur eux si Omicron nous bat de vitesse. La logique de ce resserrement n’est pas punitive. Il vise plutôt à rétablir la réciprocité dans la contribution des citoyens à la sortie de crise. Une situation dans laquelle les non-vaccinés bénéficient du choix des vaccinés, alors que ces derniers doivent subir les conséquences négatives du choix des premiers, n’est pas équitable.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion