Le gouvernement canadien fait actuellement face à une situation malsaine qui a une incidence majeure sur l’état de la concurrence dans le transport ferroviaire : TCI Management (TCI), un fonds d’investissement spéculatif britannique qui détient des participations importantes dans le capital du CN et du CP, a entrepris, par ses faits et gestes, d’entraver la concurrence entre les deux sociétés de chemins de fer.

TCI a ensuite accru sa participation dans l’actionnariat du CN dans le but de réorienter sa stratégie d’affaires.

La saga dans laquelle le CN est mêlé constitue un défi relativement nouveau et non résolu pour la politique de concurrence canadienne. La question acquiert une acuité particulière en raison du chevauchement de l’actionnariat et du comportement de TCI, un fonds militant, dans les deux seuls chemins de fer nationaux canadiens. De nombreuses études empiriques démontrent que la propriété commune d’actions par des investisseurs institutionnels passifs dans des marchés concentrés entraîne une hausse des prix, une réduction de l’offre et une qualité de produit et de service inférieure.

En mai 2021, au beau milieu du processus d’acquisition du chemin de fer Kansas City Southern, TCI, le principal actionnaire du CP, est intervenu pour enjoindre au CN, en privé et dans des déclarations publiques, de « cesser et se désister » et de s’abstenir d’intervenir dans toute procédure réglementaire liée à l’offre du CP. Puis, le 13 septembre 2021, TCI a annoncé qu’il avait augmenté sa participation dans le CN à 5 % des actions en circulation afin d’exercer le droit de convoquer une assemblée extraordinaire des actionnaires en vertu de la Loi canadienne des sociétés par actions, et qu’il lançait une course aux procurations avec le CN pour l’élection de nouveaux administrateurs et la nomination d’un nouveau PDG désigné par TCI.

La Loi sur la concurrence du Canada repose sur la prémisse que les marchés concurrentiels sont beaucoup plus efficaces pour offrir, au meilleur prix, un plus grand choix de produits et services et davantage d’innovation, ce qui profite non seulement aux Canadiens, mais également à l’ensemble de l’économie.

Bien que les transactions susceptibles de diminuer sensiblement la concurrence soient interdites, l’application de la loi dans les situations impliquant des participations minoritaires est moins évidente.

Il n’en demeure pas moins que les dispositions sur les fusions contenues dans la loi peuvent et doivent être invoquées pour traiter les comportements anticoncurrentiels, comme c’est le cas ici.

Dans un article majeur publié en 2018, des chercheurs ont montré que plus la proportion d’actions détenues par des fonds institutionnels dans l’industrie aérienne était importante, moins la concurrence était forte et plus les tarifs étaient élevés. Des études empiriques subséquentes sur d’autres industries sont arrivées aux mêmes conclusions. Si la propriété commune d’entreprises concurrentes par des investisseurs passifs a des conséquences aussi négatives, à quoi peut-on s’attendre d’un fonds militant qui détient une participation significative dans le CN et le CP et qui a pour mission première de générer des rendements élevés pour ses investisseurs ? Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour trouver une réponse. En appliquant la loi antitrust américaine, la Federal Trade Commission décrit six types de conduite – qui s’appliquent pratiquement tous à la campagne de TCI contre le CN, y compris la nomination de candidats au conseil d’administration – qui la font sortir du domaine de l’investissement passif pour entrer dans un mode actif, entraînant de facto une intervention réglementaire.

Si TCI réussit à faire élire ses candidats au conseil d’administration du CN, il sera en position d’exercer une influence considérable sur la gestion du chemin de fer.

Étant donné le chevauchement de ses investissements, TCI n’a pas intérêt à appuyer une stratégie de croissance des parts de marché puisque les gains d’une des entreprises se feraient largement au détriment de l’autre.

Malgré les affirmations de TCI sur la compétitivité du CN, le fonds est déterminé à augmenter les marges, car, selon lui « le CN a un problème de prix ». Les deux équipes de direction seront donc amenées à poursuivre des stratégies axées sur des hausses de prix et une diminution des investissements afin d’accroître la profitabilité à court terme. Les faits démontrent que les objectifs d’une société dépendent de ses propriétaires et que, même en l’absence de mécanismes de coordination, la direction – de sa propre initiative – aligne sa conduite sur ce qu’elle considère être l’intérêt de l’actionnaire le plus influent. Le résultat le plus probable est que l’influence de TCI sur les deux entreprises servira à favoriser les intérêts non pas du CN aux dépens du CP, mais ceux des deux entreprises aux dépens des expéditeurs et du public, de la sécurité ferroviaire, de la fiabilité et de la résilience du système.

Les enjeux de cet imbroglio sont importants, car ils concernent un pilier de l’infrastructure économique canadienne. Il n’y a aucune raison valable pour que cette saga impliquant le CN et le CP ne fasse pas l’objet d’un examen antitrust par les autorités canadiennes.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion