Je sais, le titre de ma chronique est digne d’un roman de science-fiction, mais il est encore trop tôt pour tourner la page et clore le chapitre de ce combat planétaire duquel nous faisons tous partie. Alors, mettons l’accent un peu plus dans la science que la fiction.

Dans ma chronique précédente, j’ai parlé de temps microbien et de cette étude française qui avait démontré que pour ce qui est du nombre de générations produites, une année dans la vie de la bactérie Escherichia coli équivaut à près de 84 000 années humaines. Or, il y a 84 000 ans, il y avait d’autres espèces d’humains qui vivaient sur la planète. Eh oui, Sapiens avait des colocs dans son bungalow terrien.

Permettez-moi dans ce texte de pousser la comparaison un peu plus loin et de raconter comment l’histoire du variant Sapiens peut ressembler à celle d’Omicron, qui vient d’arriver.

Comme Omicron, l’humain est un mutant, un variant du genre Homo devenu Sapiens, « savant ou sage », grâce à une révolution cognitive. La tentative d’explication la plus généralement apportée évoque un épisode climatique, une sécheresse qui aurait poussé nos ancêtres arboricoles à quitter les frondaisons des arbres pour chercher de quoi manger dans les milieux ouverts. Ce changement de mode de vie aurait mené progressivement à l’apparition de la bipédie qui, à son tour, a été un précurseur anatomique du développement du langage, qui est au centre de notre intelligence.

Sapiens est un mutant au gros cerveau debout sur ses deux jambes, ce qui lui permet de voir plus loin arriver les proies qu’il veut chasser et les prédateurs qui veulent le bouffer. La bipédie a aussi fait de l’humain un endurant coureur capable de poursuivre un gros gibier jusqu’à ce qu’il déclare forfait. Marcher sur ses deux jambes a également libéré nos bras, qui deviendront des outils de transport et de puissantes rampes de lancement de projectiles. Au bout des bras, les mains de Sapiens se sont transformées en outils de précision aussi efficaces qu’un couteau suisse lorsque venait le temps de construire ou de fabriquer des choses, notamment des outils et des armes.

Chez la femme, la bipédie a entraîné aussi un rétrécissement du bassin. Ce qui l’oblige à donner naissance à un bébé parmi les plus immatures du monde des mammifères. Comme la tête risque de ne plus passer après ce temps, il faut l’expulser de force à la fin du bail de neuf mois.

Un poupon humain est un tube digestif qui hurle et dont seulement 10 % du cerveau est câblé. L’avantage d’enfanter ce disque dur presque vierge, c’est qu’on peut le programmer en famille, en communauté et dans les écoles pour lui transférer beaucoup de connaissances.

C’est en assimilant l’intelligence de ceux qui nous ont précédés qu’on devient connaissant. En vérité, expliquer comment Homo est devenu Sapiens est bien compliqué et plus complexe que ce que je viens de vous résumer. C’est un énorme sujet interdisciplinaire qui mobilise encore beaucoup de neurones dans la recherche sur nos origines.

Pour revenir à mon histoire, disons simplement que lorsque, dopé par cette révolution cognitive, Sapiens a quitté l’Afrique il y a environ 300 000 ans, il y avait au moins huit autres espèces d’humains sur la Terre, dont Néandertal, l’homme de Flores et celui de Denisova. Or, il y a entre 30 000 et 50 000 ans, les autres espèces d’humains ont fini de tirer leur révérence pour ne laisser que Sapiens comme seul gagnant dans la biosphère. Les colocs étaient partis, il avait maintenant le bungalow planétaire pour lui tout seul, avec des milliers d’animaux de compagnie, évidemment. Et comme il a foutu le bordel dans la maison, mais ça, c’est une autre histoire…

Le plus fort…

De la même façon, où sont passés les variants qui nous ont donné la frousse bien avant Omicron ? Ils ont cédé leur place devant un plus fort dans cette chaise musicale qui décrit bien l’évolution du virus. Lorsqu’arrive un champion, les mutants moins compétitifs finissent par disparaître ou survivre dans les poches populationnelles encore à l’abri de ce plus fort. Même le variant qui a émergé dans la toute-puissante Grande-Bretagne n’a pas réussi à récolter la part du lion dans l’occupation de la biosphère. Pour une fois, dans une course pour la colonisation de la planète, l’Angleterre n’a pas eu le dernier mot. Plus ironique encore, le variant, baptisé Alpha, qui y est apparu a été battu par Delta, qui aurait ironiquement émergé dans l’ex-colonie indienne.

Ce que j’essaye d’amener ici, c’est que ce processus de substitution virale est semblable à certains égards à ce qui s’est joué pendant l’odyssée de notre propre espèce. La rencontre entre Sapiens et Néandertal intéresse encore beaucoup les scientifiques. Elle passionne autant que le match qui se joue actuellement entre Delta et Omicron.

Pourquoi ce Néandertal est-il disparu avec l’arrivée du nouveau venu qui a fini par prendre toute la place ? Les hypothèses sont nombreuses : l’effet de modifications climatiques et fauniques sur la survie de Néandertal ; sa démographie en baisse à cause de la dispersion dans le territoire ; un génocide signé Sapiens ; son alimentation moins diversifiée et trop carnée, qui l’aurait rendu plus vulnérable aux changements faunistiques, etc. Vous trouverez une autre explication dans l’excellent bouquin de l’anthropologue Joseph Henrich qui s’intitule L’intelligence collective – Le succès de Sapiens. L’auteur raconte que les capacités incroyables de l’espèce humaine reposent bien plus sur notre savoir cumulatif que sur notre intelligence individuelle.

Autrement dit, c’est le travail en équipe et la capacité de se transmettre et de partager les trouvailles et les innovations technologiques qui sont nos principales forces.

Nous posons des briques supplémentaires sur l’incroyable muraille de connaissances, de découvertes et d’innovations laissées par nos prédécesseurs. Cette intelligence collective, même si elle est souvent bien difficile à discerner sur les réseaux sociaux, serait au succès de Sapiens ce que sont ces mutations à Omicron en lui permettant de devenir le plus contagieux et d’échapper partiellement aux vaccins.

Même si les hypothèses sur la disparition de Néandertal sont nombreuses, une chose est certaine : longtemps restée loin des visiteurs, l’espèce a tiré sa révérence après seulement une dizaine de milliers d’années de coexistence spatiale avec les Sapiens.

Le rôle primordial de la mélanine et de la vitamine D

Notre espèce a hérité d’avantages compétitifs qui lui ont ouvert le chemin de l’incontestable supériorité qui aurait mené à la disparation de Néandertal. En fait, on dit souvent de Néandertal qu’il est disparu, mais en vérité, il est encore là, car des mutants Sapiens à la peau plus claire (les Blancs), ou Toubabs en wolof, portent encore des gènes dudit disparu. On ne sait pas si les deux espèces d’humains ont fait la guerre, mais l’archéologie génétique a prouvé largement qu’ils ont fait l’amour. Une partie de Néandertal sommeille donc chez les Toubabs, qui sont effectivement des variants du Sapiens originel, n’en déplaise aux cagoulards qui nous enquiquinent encore avec la pureté de leur race ! En effet, depuis le triomphe de Sapiens, d’autres mutations dans son génome ont généré ces variants adaptatifs que sont les Toubabs. Comment ? Une histoire de soleil et de vitamine abordée par Henrich dans son bouquin et que je dois vous raconter.

Si vous êtes un humain qui évolue proche de l’équateur où le soleil est particulièrement féroce pendant toute l’année, comme les ancêtres de Boucar, mieux vaut avoir la peau sombre et beaucoup de mélanine pour contrer les effets néfastes des ultraviolets sur votre santé. En effet, les rayons UVB et UVA dégradent la vitamine B9, appelée aussi l’acide folique. Or, cette vitamine est très importante pendant la grossesse. Quand une femme enceinte est carencée en vitamine B9, les malformations du fœtus et un accouchement prématuré ne sont jamais loin. Le plus connu de ces problèmes de grossesse liés à cette avitaminose est une anomalie de la fermeture du tube neuronal appelé le spina-bifida. Chez les hommes, la vitamine B9 est importante dans la maturation des spermatozoïdes. La présence de mélanine joue donc un rôle majeur dans la reproduction. On comprend alors toute l’importance évolutive d’avoir la peau plus foncée dans les endroits à très fort ensoleillement pendant toute l’année. La vie souvent très difficile et les problèmes de peau des albinos africains sous le chaud soleil sont un exemple pour nous rappeler le rôle primordial de la mélanine.

Lorsque le variant Sapiens est arrivé dans les climats moins ensoleillés, un autre problème allait rapidement menacer son équilibre : la carence en vitamine D. En cause, en s’éloignant de l’équateur, la mélanine, qui était un avantage, est devenue moins adaptative. Elle bloque un peu trop les rayons UVB indispensables à la synthèse de la vitamine D. La nature a donc flanqué les Sapiens de mutations permettant de synthétiser plus efficacement la vitamine D, qui est indispensable à la santé des os, du cartilage, des dents et pour éviter le rachitisme. Cette vitamine joue aussi un rôle dans la santé musculaire et même dans la santé mentale.

D’ailleurs, avant de découvrir la prise régulière de suppléments de vitamine D pendant l’hiver, je suis allé jusqu’à fréquenter bizarrement les salons de bronzage pour chasser la grisaille qui m’enlevait le sourire dès la fin de l’automne.

Et s’il y a une chose que je répète à tous les Africains comme moi que je croise au Québec, c’est de prendre des suppléments de vitamine D, car pour un même temps d’exposition au soleil, la peau de Toubab synthétise beaucoup plus efficacement cette vitamine que la peau foncée. Mais d’un autre côté, la faible teneur de la peau du Toubab en mélanine le prédispose à d’autres problèmes de santé, moins fréquents chez les peaux foncées comme celle de Boucar.

C’est donc pour cette histoire de vitamine D que la nature a sélectionné dans les populations humaines des variants à la peau plus ou moins claire dans les régions du globe au-dessus de 50 à 55 degrés de latitude, dit Joseph Henrich, qui rappelle tout au long de son bouquin que la culture façonne nos gènes et les gènes à leur tour façonnent la culture. C’est d’ailleurs principalement pour cette raison que les variants humains aux yeux bleus et verts sont apparus parmi les peuples de Toubabs de la mer aux alentours de la Baltique. En effet, dans cette région, la pratique de l’agriculture il y a déjà 6000 ans a été à l’origine d’autres mutations. En délaissant la vie de chasseuses-cueilleuses, pour des régimes à base de céréales, certaines populations de la région baltique ont traversé des périodes de carence en vitamine D. Sans produits de la mer et de la chasse qui faisaient partie du menu de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs et leur apportaient des suppléments de vitamine D, les carences se sont manifestées. Pour contrer ces effets indésirables, de nombreuses mutations ont ainsi favorisé l’émergence de Toubabs à la peau encore plus claire dans cette région. Un gène nommé HERC2, qui est localisé sur le chromosome 15, a contribué substantiellement à ce changement. En plus d’éclaircir davantage la peau, ce gène contribue à la production des yeux clairs en réduisant la synthèse de mélanine dans l’iris. En d’autres termes, en voulant éclaircir davantage la peau pour améliorer la synthèse de la vitamine D chez ces Toubabs, la nature a engendré par ricochet ces autres variants que sont les gens aux yeux bleus ou verts.

Ces phénotypes oculaires sont des effets secondaires de la nécessité de créer des « supertoubabs » pour synthétiser plus efficacement la vitamine D absente de l’alimentation. On s’en doutait, mais c’est maintenant prouvé scientifiquement : Pamela Anderson est une mutante.

Tout ce long texte pour dire que notre histoire, qui est faite de mutations, de remplacements et de variants, n’est pas très différente de celle du virus que nous combattons. Même le père Noël est un variant adaptatif et sa barbe a un rôle évolutif. Vous ne saviez pas, mais elle sert à ramasser les graines de biscuit plus efficacement qu’un plumeau Swiffer.

Joyeuses Fêtes !

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