On entend toute sorte de choses sur la nature contreproductive du projet de lien sous-fluvial entre Québec et Lévis, particulièrement de la part des médias montréalais et des groupes de pression environnementaux. Ce projet irait à l’encontre des mesures à prendre pour diminuer l’impact des changements climatiques en favorisant une augmentation des émissions des gaz à effet de serre (GES) plutôt qu’en les réduisant. Les arguments avancés tiennent plus souvent de la rhétorique partisane et de la théorie que de la pratique urbanistique. Une approche plus réaliste permettrait de situer le débat à son juste niveau.

Le point de départ : l’indéniable congestion des ponts

Le projet de troisième lien est parti d’une réalité incontournable dans la région de la Capitale-Nationale : le pont Pierre-Laporte et le vieux pont de Québec sont congestionnés pendant des heures plusieurs fois par jour. Il faut améliorer la fluidité des échanges entre les deux rives du Saint-Laurent, sinon, c’est tout le développement économique de la région qui s’en trouvera désavantagé, voire compromis (il est vrai que certains qui s’en réjouissent souhaitent une croissance nulle, voire une décroissance). On a vu aussi au cours de la dernière année que la sécurité des citoyens pouvait être affectée alors que les services de police et d’ambulance étaient entravés par les travaux sur le pont Pierre-Laporte. On leur a réservé une voie, mais cela n’a fait qu’aggraver les bouchons, particulièrement pour le transport lourd qui ne peut emprunter que le pont Pierre-Laporte.

Le besoin d’un troisième lien est devenu évident. Laisser la situation dans l’état actuel ne peut conduire qu’à aggraver la congestion routière.

On peut temporairement améliorer la fluidité de la circulation en réservant certaines voies vers le nord ou vers le sud aux heures de pointe, comme sur le vieux pont, mais cela ne constitue pas une réponse à long terme aux besoins de l’agglomération (croissance démographique et du parc automobile). La seule question qui reste est de décider de la localisation du troisième lien. Ajouter un pont à l’ouest, à côté des deux autres, est une aberration et, à l’est, lui faire enjamber l’île d’Orléans (site patrimonial) en direction de Beaumont défigurerait le paysage et ne reçoit aucun appui des populations concernées.

Le développement indépendant des deux rives

Parmi les raisons invoquées pour bloquer le troisième lien, il y a cette idée que l’on doit contraindre le développement de l’agglomération de Québec dans son territoire actuel sous peine de voir une extension de la zone urbaine de Lévis et un envahissement du territoire agricole du secteur Lévis-Bellechasse. Il ne fait pas de doute que le lien sous-fluvial entraînerait un déplacement de population vers le sud-est. Ainsi que cela s’est produit du côté sud-ouest avec les deux ponts actuels. Cependant, ce déplacement se fera progressivement et devra composer avec les contraintes légales en vigueur. Cette perspective d’un développement géographique plus équilibré de la ville de Lévis (compatible avec celui du secteur est de la ville de Québec) devrait plutôt être accueillie comme une amélioration positive et souhaitable.

Au lieu de cela, on prône une agglomération refermée sur elle-même, dont les deux pôles continueraient d’évoluer indépendamment l’un de l’autre. Que ce soit d’un point de vue démographique ou économique, une vision intégrée du développement des deux rives est devenue nécessaire. L’agglomération de Montréal ne peut être pensée sans sa banlieue, sans les couronnes nord et sud. Et, par ailleurs, comment faire face à l’exode de la ville-centre et à l’appétit des familles citadines pour la banlieue ? La densification de l’habitat est l’une des façons d’entraver l’expansion territoriale urbaine, mais elle ne correspond pas nécessairement aux besoins des différents segments de la population. Vouloir l’imposer à tout prix, c’est faire peu de cas d’une dynamique urbaine structurelle et s’opposer à l’inévitable.

Un travail à refaire dans 10 ans

On nous dit également que le troisième lien ne parviendra à contenir la circulation automobile que pendant une dizaine d’années et que son impact sera éphémère. Ce serait, dit-on, le lot de toutes les autoroutes d’être saturées au bout d’un certain temps et de devoir être élargies ou rallongées pour correspondre à la pression démographique et à l’augmentation du parc automobile. Pourquoi donc commencer quelque chose qui sera à refaire dans 10 ans ?

En vérité, presque rien n’est prévu pour durer tout le temps. Il faut constamment mettre à jour, ajuster et parfaire ce qui a été fait précédemment.

Que ce soient des programmes publics, des politiques ou des infrastructures, tout doit être revu à un moment donné. Quand on a construit le pont de Québec, nul ne prévoyait qu’il deviendrait insuffisant et qu’un autre pont devrait être construit juste à côté. C’est une vision statique du développement qui en incite certains à croire qu’on peut figer la situation actuelle et espérer qu’elle corresponde aux besoins du futur.

Le coût trop élevé du projet

On trouve exagéré le coût du troisième lien, dont les évaluations actuelles varient de 6 à 10 milliards de dollars. Mais ce n’est pas par rapport à des travaux du même type que la comparaison se fait. On se demande plutôt ce qu’on pourrait faire d’autre avec une somme pareille. Combien de centres de la petite enfance pourraient être ajoutés, combien d’écoles pourraient être construites ou rénovées, combien d’hôpitaux ou de CLSC pourraient recevoir les budgets qui leur manquent ?

Un tel raisonnement laisse entendre que l’argent public n’est pas mis où les besoins sont les plus grands. Il est curieux cependant qu’on ne remette pas en question de la même façon les 30 milliards de dollars et plus engagés présentement dans des travaux d’infrastructures dans la région de Montréal. Se peut-il qu’il y ait deux poids, deux mesures ? Et si tous les Montréalais sont directement touchés par le troisième lien parce que leurs taxes et impôts serviront à en payer une partie sans qu’on leur demande leur avis, on pourrait aussi dire que tous les Québécois ne sont pas consultés et ne sont pas nécessairement d’accord avec les dépenses publiques en infrastructures dans la région de Montréal.

L’outrance est mauvaise conseillère

Il ne fait pas de doute que le Québec doit continuer d’améliorer son bilan carbone, mais décrire le troisième lien comme une abomination ou une absurdité écologique, c’est forcer la note de manière outrancière. Tout ce qui est exagéré finit par être insignifiant : on quitte le monde réel pour ne s’attacher qu’aux excès de craintes irraisonnées et aux formules lapidaires de personnalités en mal de visibilité. Revenons à une attitude plus mesurée, et plutôt que de condamner un projet avant qu’il ne commence, attendons d’avoir en main toute l’information probante.

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