De nombreux chercheurs universitaires se sont penchés depuis de nombreuses années sur la caractérisation des inégalités de revenu et de richesse et de leur évolution depuis plusieurs décennies. Nous avons pu prendre connaissance ces derniers jours de la publication du rapport 2022 du World Inequality Lab⁠1, fruit du travail d’une centaine de chercheurs à travers le monde.

On y apprend entre autres que les inégalités de revenu au niveau mondial (part du top 1 %) ont diminué pendant de nombreuses décennies (de 1910 à 1970), mais ont augmenté depuis 1970. Quant aux inégalités de richesse ou de patrimoine (part du top 1 %), elles ont également diminué de 1910 à 1980 pour ensuite se stabiliser en Europe de l’Ouest et remonter aux États-Unis. On observe des signes récents d’un possible retournement. Au Canada, les inégalités de revenu (part du top 10 %) ont suivi un sentier similaire à celui des États-Unis, quoique la hausse depuis 1980 soit moins prononcée, et les inégalités de richesse sont demeurées relativement stables depuis 1995.

Mais le rapport reste coi sur les inégalités de consommation. Dans un récent cahier du CIRANO⁠2, je regrette l’accent généralisé mis sur les inégalités de revenu et de richesse par rapport aux inégalités de consommation, socialement plus pertinentes. Peu de chercheurs se sont penchés sur ces inégalités de consommation bien que ce soit la consommation, en nature et en espèces, qui détermine le niveau et la qualité de vie des ménages.

Les inégalités de consommation font depuis peu l’objet, sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), d’un programme de recherche moins populaire, mais plus important et certes plus difficile. Statistique Canada est à l’avant-garde de ces développements et publie depuis peu des données intéressantes, mais encore fragmentaires, à ce sujet.

Une mesure inclusive et réaliste de la consommation des ménages fait ressortir d’importants effets redistributifs non seulement de la taxation et des transferts financiers, mais aussi des transferts sociaux en nature.

Au niveau de la taxation, on note une hausse de la progressivité de l’impôt au Canada au cours des deux dernières décennies : le quintile supérieur (les 20 % plus riches) paie aujourd’hui environ 60 % de l’ensemble des impôts, une hausse de près de cinq points de pourcentage depuis 1999, par rapport à 1,1 % pour le quintile inférieur (les 20 % plus pauvres), une baisse de 0,3 point. La progressivité de l’impôt, mesurée par le rapport de la part des impôts payés par le quintile supérieur sur la part du quintile inférieur, a augmenté d’environ 30 % depuis 20 ans.

Les transferts sociaux en nature correspondent aux biens et services individuels (il faudrait y ajouter éventuellement les biens et services publics) fournis aux ménages gratuitement ou à des prix non significatifs par les administrations publiques et les organisations sans but lucratif. On pense par exemple à la santé, à l’éducation, à la sécurité, aux parcs, aux spectacles gratuits, à l’aide de tout type offerte aux ménages plus démunis, etc. Ces transferts en nature, qui s’élèvent à plus de 70 % du revenu disponible des ménages du quintile inférieur et à environ 11 % de celui du quintile supérieur, ont augmenté de quelque 140 % en 20 ans.

La mesure inclusive et réaliste de la consommation montre que les inégalités ont significativement diminué depuis 20 ans au Canada, de 16 % entre 1999 et 2018 et de 24 % entre 1999 et 2020. On parle ici du rapport ou ratio de la consommation finale effective des ménages du quintile supérieur par rapport à celle des ménages du quintile inférieur, incluant les transferts sociaux en nature.

Ainsi, depuis 20 ans, les inégalités de consommation ont diminué, contrairement aux inégalités de revenu et de richesse. C’est pourquoi l’accent prépondérant mis sur les inégalités de revenu et de richesse nous donne une image incomplète et même déformée de la réalité des ménages, en particulier des ménages moins bien nantis.

Cela entretient indûment la perception d’une fracture sociale importante et croissante et exacerbe inutilement les conflits sociaux. On jette de l’huile sur le feu des divisions et conflits en poursuivant des études qui, malgré leur intérêt, ratent la cible la plus pertinente, celle des inégalités de consommation.

Il est temps pour les gouvernements d’investir massivement dans l’étude de l’évolution des inégalités de consommation, en appuyant les efforts des organismes nationaux et internationaux de statistiques tels Statistique Canada et ceux des chercheurs qui analysent ces données.

1. Lisez le Rapport sur les inégalités mondiales 2022 2. Consultez le cahier du CIRANO (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion