Je suis un petit producteur maraîcher cultivant de 30 à 40 variétés de légumes et de fruits sur une superficie d’un hectare que je loue à un fermier voisin. J’ai la chance d’habiter là où je cultive parce que j’ai acheté la maison d’une ancienne ferme, qui a été désenclavée de son lot lorsque la loi de protection du territoire agricole est entrée en fonction dans les années 80.

C’était l’époque où on encourageait les petites fermes qui vivotaient à cesser leurs activités et à vendre leur lot aux fermiers voisins plus productifs.

En louant un hectare derrière chez moi, qui est un morceau de l’ancienne terre de la maison que j’habite, et en ayant un permis d’exploitant agricole du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), cette maison est redevenue une ferme. Je peux vendre mes produits cultivés au kiosque installé à côté de ma maison, qui est sur la 132 entre Le Bic et Rimouski.

Je me considère extrêmement chanceux, comparé à plein d’autres petits producteurs en culture diversifiée sur petite superficie qui n’ont pas la possibilité d’habiter là où ils cultivent.

Une agriculture complexe

Cette nouvelle agriculture – de proximité, intensive et diversifiée sur petite superficie – nécessite un suivi quotidien et de très près, parce qu’elle est complexe, étant donné la variété des produits cultivés, parce qu’elle implique chaque année plusieurs dizaines de semis et transplantations à effectuer à des moments climatiques bien choisis, et parce qu’elle peut exiger des centaines de récoltes, entre juin et novembre.

Ne pas pouvoir habiter la terre où toutes ces opérations ont lieu est difficilement viable à moyen et long terme.

Ne pas pouvoir être propriétaire de cette terre, mais seulement locataire, n’est pas non plus une solution viable parce que ce modèle d’agriculture diversifiée exige beaucoup d’investissement en configuration écologique des parcelles, préparation des sols, installation des cultures permanentes, brise-vents, irrigation, etc.

Bref, on est à mille lieues des fermes laitières qui, sur leurs terres, feront trois récoltes de fourrage, un ou deux semis de céréales et leurs récoltes en fin de saison. Ces fermiers, s’ils ont de gros quotas, ils peuvent louer des terres et s’éloigner de chez eux, même à plusieurs kilomètres, avec leurs gros équipements pour aller faire ces quelques semis et récoltes ; pour eux, c’est viable. Mais allez leur proposer de ne pas habiter près de leurs installations de production laitière, de ne pas en être propriétaire. Disons qu’ils ne trouveraient pas cette solution très présentable.

Une solution « broche à foin »

Alors nous, petits producteurs de proximité, diversifiés et sur petite superficie, nous considérons que la solution qui nous est trop souvent proposée, soit de louer de petites parcelles, en friche ou en région dévitalisée, avec l’impossibilité d’y habiter, c’est une solution inadéquate, parce que ce n’est pas connaître ou comprendre nos pratiques agricoles.

C’est aussi une solution non viable, qui ne démontre pas beaucoup d’intérêt ou de valeur à cette nouvelle agriculture. Parfois, on se demande si c’est parce qu’on a juste besoin de petits lots et peu de gros équipements qu’on se sent moins respectés comme exploitant agricole.

Que nos pratiques agricoles soient parmi les plus saines, qu’on soit quasi carboneutres et que notre contribution à l’autonomie alimentaire soit bien concrète, c’est comme si ça reste négligeable ; on ne fait pas le poids. C’est de l’artisanat.

N’en déplaise à l’Union des producteurs agricoles (UPA) et autres groupes, aux experts et aux partis de l’opposition qui nous proposent cette solution de « juste louer » plutôt que d’aller de l’avant à un certain morcellement des terres agricoles comme le propose la loi 103, pour nous, c’est une solution broche à foin. La nouvelle agriculture mérite beaucoup mieux.

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