J’ai une fixation sur la beauté des gymnases. C’est un truc de joueur et d’entraîneur de basketball, je crois. Un fétiche qui se développe au fil des années à compétitionner dans de nombreux gymnases hideux, glissants et poussiéreux. Au Québec, les beaux gymnases se font rares. Mais certains d’entre eux ont ce petit je-ne-sais-quoi qui fait en sorte qu’on les chérit comme des lieux sacrés.

C’est le cas du gymnase principal du Séminaire Saint-Joseph, à Trois-Rivières. Un endroit tellement magnifique qu’il a reçu un surnom : le Garden. Ses murs de brique. Ses estrades en bois antique. Son plancher reluisant. Ses larges lignes vert forêt marquant le périmètre du terrain de basket. Ses grandes fenêtres laissant passer la lumière du jour. La communauté sportive qui a fréquenté ce lieu dira sûrement qu’il mérite presque d’être reconnu comme lieu patrimonial.

Le Garden est cher à mes souvenirs puisque j’y ai compétitionné, comme joueur et comme entraîneur, des dizaines de fois. Il conserve précieusement entre ses murs nombre de cris, de pleurs, de rires, de sueur.

Je vous en parle parce que j’ai vu sur les réseaux sociaux, il y a quelques jours, des photos du Garden. En les contemplant, j’ai éprouvé de la nostalgie, mais surtout de la joie et de la fierté, parce que ces photos mettaient en scène une jeune élève-athlète dans toute sa splendeur. Une élève du Séminaire Saint-Joseph rayonnant dans son uniforme du Vert et Or.

Sur l’une des photos, on la voit genoux fléchis, bras largement étendus, cheveux attachés, yeux déterminés, prête à exécuter la meilleure des défensives contre l’équipe adverse. Sur une autre, elle tente un lancer, ses longs cheveux plongeant sur le numéro au dos de son uniforme. Puis il y a aussi cette photo où, célébrant la victoire, la jeune élève-athlète est ensevelie par ses coéquipières. On n’y voit que ses cheveux. À qui donc appartiennent-ils ?

Ces cheveux sont ceux qu’un policier a tirés sans vergogne à Québec dans la nuit du 26 au 27 novembre dernier. Ce sont les cheveux de Silosina Nekingame, victime de brutalité policière d’une violence telle que je peine à la décrire. Peut-être pas besoin de le faire non plus, puisque vous avez sûrement vu la vidéo exposant la scène ou reçu les nouvelles à ce sujet.

Je gagerais ma chemise qu’à la lecture de ma description de la jeune Trifluvienne foulant le plancher du Garden, très peu d’entre vous ont imaginé qu’il aurait pu s’agir de l’adolescente récemment victime de violence policière. Il y a là une dissonance cognitive que je considère comme frappante, et je n’y échappe pas moi-même.

En regardant initialement les images troublantes de l’intervention policière à l’égard de la jeune femme, j’ai vu une victime des forces de l’ordre. J’ai vu une personne qui ne méritait pas le traitement indigne qui lui a été réservé ce soir-là. J’ai été, à bon droit, scandalisé. Mais aucune de mes pensées à ce moment ne s’est ouverte à la richesse de la vie de cette adolescente, en dépit des injustices.

Face à ce constat, je souhaite m’inviter à une célébration plus entière de la vie noire et de la vie humaine. Parce que la vie, dans son expression la plus riche, supplante les défaillances des systèmes politiques, judiciaires, économiques, financiers et médiatiques modernes.

Selon moi, la bêtise et la violence dérivant de ces systèmes méritent d’être combattues. À titre d’exemple, l’État ne s’arrête pas à massacrer les aînés dans les CHSLD. Il s’est aussi permis, le 1er décembre dernier, de tabasser dans la rue Maurice Verjin, un homme de 73 ans, par l’entremise de la police. Ça me met en beau fusil. Excusez le mauvais jeu de mots.

J’ai en même temps envie de me rappeler que notre existence n’est pas confinée aux oppressions que nous subissons. En écoutant récemment l’auteur Bayo Akomolafe, j’ai saisi qu’en luttant contre la prison, je cours le risque de me construire en prisonnier. Or, il existe un autre paradigme. Celui de notre magnificence, qui échappe aux griffes de l’absurdité humaine.

L’image de Silosina m’aide à contempler la vie sous cet angle. Car ces tresses africaines qu’on a failli lui arracher sont un symbole même de la vie noire qui déjoue l’esclavage.

Frantz Fanon a dit : « La densité de l’Histoire ne détermine aucun de mes actes. Je suis mon propre fondement. Et c’est en dépassant la donnée historique, instrumentale, que j’introduis le cycle de ma liberté. »

Au gré des tragédies de l’actualité, j’aime penser que nous sommes beaux et belles dans nos vies. Et si jamais je l’oublie, j’ai bien confiance que durant la période des Fêtes, l’odeur du bouyon, l’intensité du rara, la douceur du konpa et le goût de la kremas me serviront d’aide-mémoire.

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