Depuis avril 2021, un phénomène social lié à l’emploi prend racine aux États Unis. Selon le Bureau américain des statistiques du travail, 4,4 millions d’Américains ont quitté leur emploi pour le seul mois de septembre 2021. Ce chiffre supplante les records consécutifs établis depuis six mois, une augmentation significative jamais vue aux États Unis depuis que le Bureau a commencé à suivre ces données en l’an 2000. Les économistes ont tôt fait de nommer cette période de turbulence la Grande Démission.

Selon le magazine Time, les 7,7 millions d’Américains qui sont sans emplois ne se bousculent pas pour pourvoir les 10,4 millions d’emplois vacants. Les salaires de beaucoup de ces emplois n’ont pas suivi la hausse des prix à la consommation. Les emplois n’offrent souvent pas de bénéfices ou d’occasions d’avancement qui en valent la peine. Et lorsqu’un employeur est incapable ou ne veut tout simplement pas rendre le travail plus attrayant, les employés fatigués vont démissionner.

Pour Robert Reich, ancien secrétaire américain du Travail sous le président Bill Clinton, bon nombre de personnes ne veulent tout simplement plus revenir à des emplois qui sont trop exigeants, ennuyants et peu payants. Elles veulent autre chose et sont prêtes à chercher pour trouver mieux.

Partir ou rester ?

Comme au Québec, l’emploi dans le secteur de la santé aux États-Unis n’est pas au beau fixe. Selon un sondage de Morning Consult, près d’un travailleur américain sur cinq a démissionné de son emploi en santé depuis le début de la pandémie. Et de ceux qui ont choisi de rester, 31 % ont pensé à quitter leur emploi.

Il faut comprendre que chaque démission augmente la charge de travail des employés qui restent. Ceux qui tiennent le fort deviennent fatigués, il y a perte d’expertise et pour plus d’un, le jeu n’en vaut plus la chandelle et ils démissionnent à leur tour.

Selon l’Association américaine des infirmières de soins intensifs, depuis le début de la pandémie, c’est 66 % de leurs membres qui auraient envisagé de quitter la profession d’infirmière.

La pandémie exerce une pression énorme sur les équipes de soins qui doivent jour après jour soutenir le fonctionnement du système de santé. La pénurie d’infirmière met à risque la santé dans plusieurs hôpitaux.

« Au Québec, on ne compte plus les refus de travail des employés qui dénoncent le temps supplémentaire obligatoire », les conditions de travail et le manque de ressources. Des employés du réseau sont exténués tant physiquement qu’émotionnellement par la charge de travail qui leur est imposée ce qui pousse plusieurs à démissionner, à prendre une retraite hâtive ou à faire un changement de carrière.

Avec comme conséquence le fait que le cercle vicieux se poursuit, les écoles forment de plus en plus de professionnels de la santé, on les surutilise par manque de ressources, on leur donne les moins bons horaires, puis ils partent.

Esprit d’équipe

Il serait facile d’accuser la gestion d’incompétence et de dire qu’aucune entreprise privée ne survivrait à ce genre de fonctionnement. Or, les établissements de santé ne sont pas des chaînes de montage d’automobiles, il y a le facteur humain à considérer. De presser le citron sans égard pour le travail exécuté n’est que délétère pour l’organisation.

Les directions des établissements de santé ont également à jongler avec des contraintes budgétaires et des coûts pour des nouveaux traitements toujours en croissance. Et pour équilibrer les budgets, la gestion va parfois devoir faire des coupes dans les services administratifs, les ressources humaines, le personnel soignant et l’entretien. L’organisation du travail devient alors difficile avec la perte d’expertise, la pénurie de personnel et la difficulté de retenir les employés restants.

Bien entendu, une organisation qui veut exceller doit miser sur des points qui sont caractéristiques des établissements de santé plus performants. Elle doit se doter d’une culture organisationnelle positive où le respect et la confiance entre collègues sont soutenus.

Les ressources humaines ont besoin de constamment se réinventer pour trouver les bons employés, les soutenir et les aider à se développer. L’organisation doit aussi miser sur le développement de leadership à tous les niveaux et encourager l’autonomie. Enfin, il importe d’avoir un système de monitorage des activités avec des buts explicites à atteindre afin de bien évaluer la qualité des services de santé.

Et que dire de l’apport des gestionnaires intermédiaires, des coordonnateurs, des chefs d’équipe qui ont un rôle primordial dans la mise en place des stratégies organisationnelles. Il est important que ces derniers soient en quantité suffisante pour gérer les équipes et établir des liens latéraux entre elles. De petites équipes où chaque individu connaît les autres du groupe afin de bâtir un milieu de travail où il y a compréhension de ce qui doit être fait, où les employés sont parvenus à tisser des liens avec tous les autres membres de l’équipe et où ils ont appris à travailler ensemble et à se faire confiance.

C’est un art de faire travailler des personnes et de créer un esprit d’équipe pour les garder intéressées et heureuses. Les gestionnaires ont besoin de faire une introspection sur la façon de mieux organiser et intégrer les équipes. Et pour ce faire, les gestionnaires du terrain ont besoin de coudées franches pour monter leurs équipes et améliorer les conditions de travail.

La solution aux problèmes de rétention passe irrémédiablement par la décentralisation, la stabilité financière, la gestion de proximité et aux soutien des équipes sur le terrain.

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