« Une réforme est un processus et non un évènement », expliquait Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies (1997-2006). Au moment de réformer la fiscalité internationale, cette sentence trouve tout son sens.

À partir des années 1980, l’ouverture des économies nationales vers le monde, l’essor des politiques de libéralisation des échanges et la libre circulation des capitaux ont progressivement affermi le règne de la mondialisation. Toutefois, comme en témoigne le documentaire Rapide et dangereuse : Une course fiscale vers l’abîme, la mondialisation économique et financière a progressé sans égard à la concurrence fiscale que se livraient les États pour attirer les entreprises multinationales.

Aucune mesure n’avait été prévue pour éviter cette course fiscale vers le bas et permettre aux multinationales de réduire considérablement leur taux d’imposition et ainsi se soustraire à leur juste contribution au bien commun.

Quarante ans plus tard, au terme d’intenses négociations, de sommets économiques et de conférences internationales, les grands leaders de la réforme fiscale mondiale, sous la direction de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ont réussi l’inconcevable : la conclusion d’une déclaration qui instaure un nouveau cadre pour la réforme de la fiscalité internationale, soit l’instauration d’un taux d’imposition minimum de 15 % à partir de 2023.

La mise en place de l’impôt minimum global pour les grandes multinationales est certes une réforme fiscale historique qui s’attaque au cœur du problème de la défiscalisation des multinationales.

Mais, bien davantage, il s’agit d’un effort substantiel pour refermer la brèche laissée ouverte par la mondialisation qui s’est développée en faisant abstraction de la concurrence fiscale qu’elle engendrait entre les pays. La concurrence fiscale internationale avait atteint une telle acuité qu’on parlait même de guerre fiscale entre les pays.

Seuil minimum d’imposition

TaxCOOP a été fondée au Québec, en 2014, par trois Québécoises. Lorsque TaxCOOP a lancé sa série de conférences internationales consacrées au problème de la concurrence fiscale, la solution d’un seuil minimum d’imposition a été immédiatement évoquée. Toutefois, il y avait alors peu d’espoir qu’une solution globale puisse émerger d’un consensus politique.

En mettant en lumière les injustices générées par la concurrence fiscale, TaxCOOP a contribué à ouvrir largement les discussions sur la scène internationale et notamment à la Banque Mondiale, à l’Organisation des Nations unies et à l’OCDE et à la COP25, à Madrid.

Le problème de la concurrence fiscale internationale est maintenant reconnu et intégré dans le plan d’action de la réforme fiscale internationale. Par l’organisation de sommets internationaux annuels, la publication d’ouvrages et la création de documentaires mondialement diffusés, TaxCOOP a accompli sa mission avec le soutien du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada.

En 2021, 137 pays et juridictions réunissant 6 milliards de personnes et 90 % de l’activité économique mondiale ont adhéré au principe de l’impôt minimum mondial qui sera appliqué dès 2023. L’impossible est devenu possible. Il fallait y croire.

Toutefois, la réforme fiscale internationale ne fait que commencer et les prochains défis pour faire avancer la justice fiscale sont immenses. D’abord, il faudra hausser progressivement le seuil minimum d’impôt global. Mais il y a davantage.

La juste part des milliardaires

Le temps est venu pour les milliardaires de payer enfin leur juste part d’impôt. Dans une société mondiale aux prises avec les défis que posent les temps actuels, il est inacceptable que les richissimes paient des impôts à des taux effectifs moins élevés que ceux de leurs secrétaires, pour reprendre les mots de Warren Buffett.

Les planifications fiscales agressives ont fait leur temps. Il faut élever l’obligation d’assumer sa juste part d’impôt au rang de principe moral.

De plus, la fiscalité de la charité mérite un regard scrutateur. Plus de mille milliards de dollars sont accumulés dans des fondations privées de charité en Amérique du Nord. Nous avons le devoir de réviser les critères d’admissibilité et de contrôle afin de s’assurer que ces fondations soient réellement charitables et non pas des véhicules fiscaux sophistiqués. Soulignons qu’au Canada, les fondations de charité sont principalement subventionnées par l’argent des contribuables.

Finalement, il faut que la fiscalité internationale puisse rencontrer les défis de la guerre environnementale qui secoue désormais la planète Terre. On peut et on doit agir. La fiscalité est un outil très efficace pour inciter la modification des comportements polluants. L’instauration d’une taxation harmonisée pour cibler l’empreinte carbone des particuliers doit être envisagée dès maintenant.

L’avenir

Il sera essentiel de s’inspirer des premières avancées de la réforme fiscale mondiale pour amorcer la réforme fiscale environnementale. La négociation et la médiation restent les meilleurs outils pour obtenir la participation et l’adhésion d’une masse critique de pays afin de stopper le réchauffement climatique puisque les gaz à effet de serre n’ont pas de frontière. La mise en place d’un mécanisme coordonné de haut niveau permettant de rallier les pays, comme ce fut le cas avec l’impôt minimum global, doit être immédiatement explorée.

La fiscalité des femmes, de la famille, des PME, des robots, du cyberespace et de l’espace sont des domaines qui doivent être étudiés et adaptés à l’évolution des sociétés.

L’histoire montre que de tout temps, les peuples tendent vers des sociétés plus égalitaires. La justice fiscale est l’un des attributs de l’égalité économique. L’époque des systèmes fiscaux hermétiques et opaques est révolue. Toute une génération de penseurs, d’universitaires, de journalistes, de lanceurs d’alerte et de décideurs privés et publics contribue à la démystification de la fiscalité et permet de repenser la justice fiscale au XXIe siècle.

* Cosignataires : Lyne Latulippe, professeure en fiscalité à l’Université de Sherbrooke, chercheuse principale à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, cofondatrice de TaxCOOP ; Louise Otis, juge administratif international, arbitre et médiatrice, cofondatrice de TaxCOOP

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