La crise de la main-d’œuvre concerne la société, les entreprises et les citoyens. Pour la résoudre, il faudra davantage que l’actuel programme quinquennal d’allocations et de bourses d’études, dans des secteurs névralgiques, d’une valeur de près de 4 milliards, du gouvernement du Québec.

Sur le plan de la société, la pyramide des âges est révélatrice. Les baby-boomers sont nés dans des familles de 4 à 8 enfants qu’ils n’ont pas renouvelées. Le groupe des 55 à 70 ans n’a jamais été aussi important. Et la proportion des 30 ans et moins n’a jamais été aussi réduite.

Par ailleurs, les boomers exigent un développement sans précédent des emplois de service. En outre, l’affaissement du taux de natalité au tournant des années 1990 a tout compliqué en réduisant davantage, 20 ans plus tard, l’émergence des nouveaux travailleurs sur le marché du travail.

C’est ainsi que les jeunes travailleurs sont présentement en nombre insuffisant pour répondre aux exigences d’une société vieillissante. Depuis 2008, la population en âge de travailler (15 à 64 ans) a diminué substantiellement, soit d’environ 15 %.

Pénurie de main-d’œuvre

Sur le plan des entreprises, la pénurie de main-d’œuvre est glaciale, surtout dans les organismes normés comme les hôpitaux. Elle frappe les emplois à tous les niveaux de l’échelle, des infirmières aux préposés aux bénéficiaires. Et comme si cela n’était pas assez, cette pénurie de main-d’œuvre a transité vers l’entreprise privée comme une maladie transmissible.

Ainsi, le remplacement du personnel s’avère difficile dans les organisations qui paient de faibles salaires, comme l’industrie de la transformation alimentaire ou les grandes surfaces. Les travaux pénibles, comme ceux des abattoirs, ne trouvent plus preneur.

Sur le plan des citoyens, les jeunes refusent le modèle antérieur des 55 ans et plus qui ont fait leur carrière spécialement dans le secteur tertiaire. Leurs valeurs étaient le travail d’abord, la famille ensuite et le social s’il restait du temps.

À cet égard, les jeunes travailleurs ont fait une rupture culturelle par rapport au passé. C’est la famille d’abord, le social ensuite et le boulot à la fin. En outre, ils ont été socialisés d’abord en garderie où tout était organisé sur un axe de loisir. Quand ils sont sortis de la garderie, tout était à nouveau centré sur un apprentissage plaisant, qu’il s’agisse de l’école et du parascolaire, dans un monde où l’ascétisme faisait rarement partie de l’équation.

Or le marché du travail, qui a essentiellement conservé des valeurs ancrées par les boomers, récupère peu le mode de socialisation des jeunes. D’une part, ils ne sont pas en nombre suffisant afin de pourvoir aux besoins de main-d’œuvre des entreprises et, d’autre part, lorsqu’ils y entrent, bon nombre de jeunes s’y retrouvent désorientés.

Certes, ils ont exigé et obtenu quelques réformes légales, notamment plus de vacances annuelles et de congés à des fins familiales. Mais ces changements, aussi souhaitables qu’ils soient, augmentent à leur tour la pénurie de main-d’œuvre. Car accorder aux jeunes davantage de congés oblige a priori les employeurs à remplacer ces nouvelles absences en faisant appel à un bassin de recrutement quasi inexistant.

Se réapproprier le marché du travail

Les jeunes doivent pleinement se réapproprier le marché du travail et poursuivre leurs initiatives afin de construire une société à leur image. Certes, un meilleur soutien financier de l’État s’impose en matière de natalité. Dès lors, le poids démographique des jeunes pourrait augmenter sensiblement dans la pyramide des âges du Québec dans environ deux décennies.

D’ici là, travailleurs et dirigeants devront choisir des modes d’organisation du travail plus flexibles aptes à réaliser des objectifs d’affaires avec une main-d’œuvre réduite.

Le recours à une immigration choisie est susceptible de fournir une main-d’œuvre supplétive sans garantie que les compétences professionnelles requises soient accessibles. Par conséquent, les stratégies pédagogiques des établissements d’enseignement devront être coordonnées avec les besoins des entreprises.

Mais la main-d’œuvre étrangère à elle-seule ne saurait suffire pour éliminer la pénurie de main-d’œuvre tenant compte de la spécificité des emplois à pourvoir.

C’est là que le programme de soutien financier aux études de François Legault, dans des domaines déterminés comme le génie, la santé, l’éducation, l’informatique ou la construction, trouve sa justification. Mais cette dépense étatique n’inventera pas des jeunes qui n’existent pas.

Dès lors, la balle est dans le camp de nos ingénieurs. Leur mission est d’accentuer un développement technologique réducteur du travail humain notamment par le recours à la robotisation. Car ce qui se dessine devant nous est probablement la fin du travail dans sa forme traditionnelle. Avec ses entreprises transformées, la nouvelle société sera celle de l’intelligence artificielle.

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