Le 25 novembre dernier, le ministre des Finances, Eric Girard, déposait une mise à jour économique qui ressemblait davantage à un budget à saveur préélectorale. Avec 13 milliards de dollars de nouvelles mesures, il y en avait pour tout le monde. Mais au-delà de la distribution des chèques, on y retrouvait également une part de la réponse du gouvernement à la rareté de main-d’œuvre qui sévit. Hier encore, le premier ministre a précisé et complété ces annonces.

Bien que perfectible, ce plan de lutte contre les pénuries sectorielles et régionales est fort encourageant, car il démontre que le gouvernement a bel et bien amorcé le changement de paradigme requis. Il était plus que temps d’abandonner l’obsession de la création d’emplois pour parler plutôt de « former, attirer et retenir des travailleurs ».

Cependant, les organismes patronaux et les employeurs ont assez mal réagi à cette mise à jour, estimant que le gouvernement n’en avait pas assez fait pour les aider à résoudre leurs problèmes de main-d’œuvre. Et pourtant, même si on est encore loin de la coupe aux lèvres, les bases sont jetées et elles semblent assez solides pour commencer à construire. N’est-ce pas là une occasion de saisir la balle au bond pour accélérer le virage amorcé ?

Les bons coups du gouvernement

Avec près de 3 milliards de dollars destinés à « attirer, former et retenir 170 000 travailleurs d’ici cinq ans » dans cinq secteurs, soit la santé et les services sociaux, l’éducation, la petite enfance, le génie et les technologies de l’information et la construction, le gouvernement a clairement fait ses devoirs de priorisation et tente un coup de force pour protéger les services essentiels à la population.

Avec des bourses substantielles (jusqu’à 20 000 $) et des primes de retour au travail pouvant atteindre 18 000 $, le gouvernement souhaite ainsi accélérer la diplomation, attirer davantage de travailleurs et ramener à bord ceux qui ont quitté le navire.

C’est costaud et crédible comme plan. Mais pour que la recette fonctionne, il manque un ingrédient clé : une révision en profondeur de l’organisation et des conditions de travail dans les réseaux de la santé et de l’éducation.

Le gouvernement a également annoncé que le programme des travailleurs temporaires sera assoupli et qu’il accueillera 70 000 immigrants permanents en 2022 (notamment pour combler les retards pandémiques). Pour plusieurs, c’est nettement insuffisant, mais c’est quand même davantage qu’au début du mandat du gouvernement caquiste.

Des lacunes subsistent

Pour les cinq secteurs jugés prioritaires, il y a enfin de l’espoir. Pour les autres pans de l’économie, c’est un coup dur à encaisser. La frustration est compréhensible. Au-delà des nouvelles encourageantes, il reste donc beaucoup à faire, notamment pour mieux soutenir les entreprises qui n’évoluent pas dans les secteurs retenus par le gouvernement et pour les millions de Québécois en emploi qui devront rehausser leurs compétences au fil de leur carrière.

Mais attention, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a encore plusieurs annonces à faire pour compléter ce qui a été divulgué par son collègue des Finances. Il aura la lourde tâche de combler certains trous laissés béants, notamment en ce qui concerne la formation continue, la formation des travailleurs en entreprise, l’aide aux employeurs de tous les secteurs pour mieux gérer leurs ressources humaines et intégrer les groupes les plus marginalisés au marché de l’emploi. On pourrait penser à une bonification des mesures de financement de la formation pour les travailleurs, à une réduction des taxes sur la masse salariale pour les employés qui sont formés pendant les heures de travail, à des exemptions de cotisation à la Régie des rentes du Québec pour les travailleurs de 60 ans et plus, etc. Les idées ne manquent pas !

L’autre gros défi relève du ministre du Développement économique : ses interventions devront cibler les enjeux de main-d’œuvre et la productivité au détriment de la création d’emplois.

À ce chapitre, il y a encore beaucoup de défis à surmonter puisqu’il s’agit d’une transformation majeure de la culture des 40 dernières années. D’où l’importance d’agir avec détermination et aplomb en imposant que la formation des travailleurs soit liée à l’obtention d’aide publique et en incluant systématiquement un volet « main-d’œuvre » dans l’aide aux entreprises.

Enfin, le ministre de l’Immigration devra aussi faire preuve de créativité pour donner suite à l’ambition de son collègue des Finances de prioriser les étudiants étrangers à l’immigration permanente afin de pourvoir les postes vacants alors que les modifications apportées au Programme de l’expérience québécoise (PEQ) pourraient engendrer l’effet inverse.

Bien que le mot « pénurie » semble proscrit pour le ministre de Finances, sa mise à jour a toutefois clairement démontré qu’il est prêt à investir des sommes importantes pour atténuer l’intense resserrement du marché de l’emploi. C’est peut-être incomplet comme solution et on reste un peu sur notre faim, mais c’est tout de même une main tendue qu’il vaut mieux saisir pour avancer.

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