Le Parti libéral du Québec (PLQ) tient ce week-end son 34e congrès des membres. Dominique Anglade doit profiter de cet évènement pour frapper un grand coup, disent les médias. Son leadership serait menacé, dit-on. Pourtant, on aurait tort d’en faire la victime du dérapage postnational de ce parti. Car dérapage il y a.

À force de contempler la perspective d’un Canada fort – et peut-être même plus centralisé – et d’une identité canadienne unifiante, le PLQ s’est éloigné petit à petit de la relation unique qu’il avait forgée au cours des ans avec les Québécois et leurs aspirations politiques et constitutionnelles.

Je serais curieux de faire un sondage parmi les membres du PLQ pour savoir ce qu’ils pensent du droit des Québécois de choisir leur avenir, de l’affirmation du Québec sur la scène internationale ou encore de l’intégrité territoriale du Québec.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Anglade doit composer avec un malaise profond au sein du Parti libéral, selon l’auteur.

Pendant des années, le PLQ a mis ses efforts dans la lutte contre le souverainisme et, plus particulièrement, dans la défense soutenue du fédéralisme canadien. Mais cette dynamique souverainisme contre fédéralisme est devenue moins actuelle, de sorte que le PLQ doit se redéfinir dans un Québec qui est lui-même en profonde mutation. À cette fin, je me suis permis d’aborder ici quelques thèmes, qui sont autant de pistes de réflexion et peut-être même de solution.

Premièrement, le PLQ doit renouer avec sa fibre identitaire et il doit le faire sincèrement, et non pas par pur calcul électoral.

Le fait que le Canada constitue une nation me semble indiscutable. Mais il en est de même pour l’existence de la nation québécoise. Et que dire de celle des peuples autochtones, du peuple acadien, etc. Le caractère pluri ou multinational du Canada saute aux yeux. Quant à la spécificité du Québec, elle doit être valorisée, promue et reconnue formellement à l’intérieur du Canada. Que le Québec cherche à s’affirmer dans son originalité propre au sein du cadre canadien et même sur la scène internationale n’est que normal. Sur ce dernier point, je rappelle d’ailleurs que la doctrine Gérin-Lajoie – qui préconise le prolongement international des compétences internes du Québec – fait partie de l’héritage libéral.

Deuxièmement, il est clair dans mon esprit que les Québécois doivent avoir le droit de décider eux-mêmes de leur avenir. Cela ne les empêche pas de souhaiter continuer d’assumer leur destin à l’intérieur du lien fédératif canadien. Alors que j’étais en politique, je me suis efforcé de convaincre les Québécois que le fédéralisme canadien était la meilleure option : pas la seule ! À mon avis, le lien entre le Québec et le Canada ne saurait être inconditionnel, pas plus qu’il ne saurait nécessairement être éternel. Au contraire, au risque de paraphraser Ernest Renan, je dirais que l’adhésion des Québécois au fédéralisme canadien est « un plébiscite de tous les jours ». Personne n’est parfaitement certain de l’orientation que prendra le Canada dans le futur.

Ce dont on est sûrs cependant, c’est que la tentation centralisatrice du fédéralisme canadien est manifeste, et que ce dernier a parfois tendance à broyer sa diversité intrinsèque, dont les caractéristiques nationales du Québec.

Troisièmement, il faut rappeler que le fédéralisme postule la souveraineté des provinces dans leur champ de compétences législatives. Rien de moins. Cette souveraineté, c’est en quelque sorte une autonomie protégée constitutionnellement. L’on ne saurait donc être un vrai fédéraliste sans être autonomiste. Cela ne signifie toutefois pas que l’on souhaite que le Québec bénéficie d’une souveraineté ou d’une autonomie totale, ce qui est le propre du souverainisme. Cela veut tout simplement dire que l’on veut que l’autonomie du Québec au sein du Canada soit préservée, voire étendue.

Langue française

Quatrièmement, la langue française constitue un autre dossier par rapport auquel le PLQ doit se repositionner fortement. En effet, il ressort de cela que cette langue est fortement menacée en ce moment. C’est là le résultat, qui était du reste hautement prévisible, de l’anglicisation rapide de la planète et du phénomène d’acculturation auquel nous assistons, impuissants. La langue française doit s’afficher haut et fort. Elle doit chercher à rayonner davantage. Son essor doit par ailleurs être soutenu par des lois, comme tente de le faire le projet de loi 96. Il faut répéter de toutes les façons et sur toutes les tribunes que le français est la seule langue officielle du Québec – hormis la forme embryonnaire de bilinguisme en certaines matières que contient l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1982 – et qu’elle est la langue commune des Québécois.

Cinquièmement, il ressort de cela que l’utilisation de dispositions de dérogation est un sérieux irritant pour le PLQ. Pourtant, ce type de mesures permet de donner le dernier mot en certaines matières au législateur plutôt que de le laisser aux cours de justice. Les dispositions de dérogation ne vont pas à l’encontre de la séparation des pouvoirs dans l’État. Elles en font plutôt partie. Elles la confirment en quelque sorte. Que l’on soit pour ou contre le recours à des dispositions de dérogation en principe, l’on ne saurait en condamner l’exercice en tout état de cause, peu importe les circonstances. Elles existent. Elles font partie de la Constitution du pays et de lois quasi constitutionnelles. Leur usage est parfaitement légitime, surtout lorsqu’il n’est qu’occasionnel ou exceptionnel. La dénonciation tous azimuts et sans nuance des dispositions de dérogation par le PLQ est irréfléchie. Elle va par ailleurs à l’encontre des intérêts supérieurs du Québec.

Enfin, sixièmement, j’estime que le fait que le PLQ se fasse le défenseur des droits et libertés individuels est une excellente chose. Après tout, aucun mot ne se rapproche plus du mot liberté que le mot libéral. Mais la défense des droits et libertés ne doit pas être une fixation.

D’abord, parce que les droits et libertés ne sauraient eux-mêmes être absolus. Ensuite, parce que l’interprétation et l’application des droits et libertés se doit d’être contextuelle, c’est-à-dire qu’elle doit tenir compte de l’environnement social dans lequel ils se développent et évoluent. Enfin, parce que, parfois, ce sont plutôt des choix ou des enjeux collectifs qui doivent prédominer. Parlant justement d’enjeux collectifs, il serait important que le PLQ s’approprie quelques dossiers et les défende avec vigueur et conviction, comme l’avancement de la langue française et de la culture qu’elle véhicule, l’adoption d’une Constitution purement québécoise, la consolidation du rôle international du Québec et la réhabilitation du dossier constitutionnel.

Le PLQ est un parti de pouvoir, certes, mais si le pouvoir lui fut si fréquemment confié par la population du Québec, c’est avant tout parce qu’il était un parti d’équilibre. Or, j’ai l’impression que cet équilibre a été quelque peu rompu ces derniers temps. Et l’on ne saurait en tenir rigueur à Dominique Anglade. Elle doit composer avec un malaise profond au sein du parti, un malaise qui dépasse ou transcende largement la question du leadership.

C’est un peu comme si le PLQ cherchait son âme. Un recentrage s’impose, non pas entre la droite et la gauche, mais plutôt entre la liberté individuelle et l’intérêt collectif de la nation québécoise.

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