Les jeunes étaient encore ébranlés par les tirs de la veille ! Cette fois-ci, les balles tirées à partir d’un véhicule qui passait près du parc n’ont pas trouvé preneur ! Le parc Jean-François-Perreault, c’est un peu l’extension de leurs domiciles souvent trop exigus pour contenir leurs familles nombreuses. Ils y passent tout leur temps libre jusqu’à ce que le froid de l’hiver les chasse dans leurs appartements exigus.

Ce soir-là, ils étaient invités dans le btiment en face du parc, où d’habitude ils n’ont pas le droit de mettre les pieds.

Dans la salle, un grand policier noir, nouvelle recrue du poste de police de quartier, et son chef ; une tentative de rapprochement dont le quartier a grand besoin. La première approche n’est pas facile ; la colère était palpable dans l’air, les jeunes en avaient gros sur le cœur ! Parfois, leurs reproches envers les policiers sortent tout croche… mais ces derniers encaissent et restent patients.

Les jeunes ont commencé timidement, en évoquant les actes d’arbitraire qu’ils subissent du fait de leur simple présence dans le parc. Puis, leurs griefs ont éclaté comme pour faire sortir tout le méchant : les interpellations provocatrices, les arrestations fortuites, les délits de faciès, les altercations gratuites… Et, quand il n’y a rien d’autre à leur reprocher que la « maltraitance » des poubelles, il reste leur voix forte parce que les jeunes Maghrébins, ça parle fort et ça dérange !

Un autre jeune très en colère qui, pourtant, travaille pour la Ville raconte comment il se fait arrêter ou harceler par la police, quasiment chaque fois qu’il passe par le parc pour aller chez lui. D’autres ont aussi été arrêtés lors de nuits suffocantes de juillet, alors qu’ils s’étaient risqués à barboter dans la piscine municipale après l’heure de fermeture.

Et puis, il y a la machine à rumeurs dont l’effet est de fabriquer de la suspicion et de la défiance. Par exemple, les lampes du stade qui ne fonctionnent pas : pendant des années, la rumeur prétendait qu’elles étaient délibérément éteintes pour empêcher les jeunes de jouer au soccer en soirée, leur sport préféré. Il en est même qui prétendent que ce sont des voisins « racistes » qui ont appelé les autorités pour garder les lumières éteintes et éviter que les jeunes jouent au soccer le soir.

Il a fallu que la mairesse de l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Giuliana Fumagalli, se lève pour dire publiquement que, vérification faite, les lumières restaient éteintes faute de filage électrique et qu’elle allait trouver un budget pour les allumer !

Vous me direz que toutes ces petites chicanes sont des « banalités » ? Pour ma part, j’ai remarqué que les gros problèmes commencent souvent par des « banalités »… avant que le manque de communication finisse par peaufiner les scénarios de la discorde et de l’incompréhension…

C’est seulement après avoir évacué le trop-plein de ressentiment que les jeunes ont commencé à parler du véritable objet de cette première rencontre. On ne parle pas de ses peurs si facilement !

La peur des armes à feu qui circulent comme des jouets entre les mains de jeunes qui se croient dans des jeux vidéo.

La peur parce que c’est rendu que les très jeunes utilisent les armes dans n’importe quelle chicane : parfois pour un commentaire anodin sur les médias sociaux, pour une affaire de jalousie, pour une blonde…

Les jeunes dans la salle ont surtout peur pour leurs petits frères et leurs petites sœurs, car ça se passe de plus en plus chez les très jeunes.

Le pire, c’est que ces très jeunes qui ont peur et qui n’ont pas confiance en la police veulent se défendre tout seuls… en se procurant des armes !

Ils ont fait remarquer qu’après toutes les tueries qu’il y a eu dans leur quartier, presque personne ne s’est fait arrêter. Ce sentiment d’impunité encourage peut-être plus de jeunes à utiliser des armes à feu.

Ils croient que la police aurait fait plus d’efforts si ces meurtres s’étaient passés dans des quartiers riches comme Westmount !

Un jeune, dont j’avais noté le tempérament fougueux lors de mes précédentes visites au Forum jeunesse de Saint-Michel et qui avait été témoin des coups de feu de la veille, n’avait pas dit un mot ce soir-là. À la fin de la rencontre, on s’est rencontrés devant les beignes et le café au fond de la salle. L’intervenant lui avait demandé pourquoi il n’avait pas prononcé un mot lors de cette rencontre. Il a répondu, le visage fermé : « Yo man, moi, je veux juste trouver le moyen de déménager de Saint-Michel, je ne veux pas me faire tirer pour rien » !

Sa peur et sa tristesse résumaient tout ce que les jeunes de Saint-Michel ressentent aujourd’hui en préparant la marche de samedi pour rendre hommage à la dernière victime des armes à feu, le jeune Thomas Trudel, 16 ans, qui passait par ce parc du quartier Saint-Michel.

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