À l’aube de la rentrée parlementaire du 22 novembre à Ottawa, une question se pose : y aura-t-il encore récitation d’une prière au début de chaque séance de la Chambre des communes ?

Rappelons qu’au début de chaque séance de travail de la Chambre des communes, le président de la Chambre fait, avant d’ouvrir les portes au public, la lecture d’une prière aux députés et aux greffiers présents. 1 Cette prière qui débute par « Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens… » fait écho aux fondements de la Loi constitutionnelle de 1982 qui énonce d’entrée de jeu : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu… »

Or, la récitation et l’écoute imposées de cette prière met à mal la neutralité religieuse de l’État et constitue un manque de respect à l’égard de la liberté de conscience des députés et des greffiers présents, pourtant protégée par nos chartes.

La liberté de conscience se définit comme étant la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est le droit de choisir les valeurs, les principes, les opinions, les croyances (y compris les religions) qui motivent notre existence. L’obligation d’assister à cette prière contrevient à ce droit.

Lors du débat sur la prière au conseil municipal de la Ville de Saguenay en 2015, la Cour suprême s’est prononcée ainsi : « La prière a un caractère religieux et que, par sa récitation, la Ville et son maire favorisent une croyance religieuse au détriment des autres, ce qui contrevient à l’obligation de neutralité de l’État. Le tribunal conclut aussi que la prière et l’exposition de symboles religieux engendrent une atteinte plus que négligeable ou insignifiante à la liberté de conscience et de religion et que cette atteinte est discriminatoire ».

Une discussion laissée en suspens

Les chefs des trois partis fédéraux de l’opposition de l’époque, à savoir Elizabeth May du Parti vert, Thomas Mulcair du NPD et Justin Trudeau du Parti libéral, prirent donc acte du jugement cette même année et exprimèrent le souhait de trouver une façon de procéder qui respecte les droits individuels de tous, tout en se disant favorables à un moment de recueillement au début de chaque session. À l’opposé, au moins trois membres du gouvernement conservateur Harper de l’époque (dont les ministres Maxime Bernier et Peter Mackay), se sont prononcés en faveur du maintien de la prière à la Chambre des communes. Les élections ayant été déclenchées quelques mois plus tard à l’automne 2015, cette discussion est demeurée en suspens.

Rappelons ici que, contrairement aux conseils municipaux, les assemblées législatives et le Parlement à Ottawa jouissent d’un privilège parlementaire et ne sont donc pas tenus de se soumettre aux décisions de la Cour suprême. Pour modifier un règlement de la Chambre, telle la récitation de la prière, la décision doit être prise par consensus ou par simple vote majoritaire, sur une motion proposée par un député. 2

C’est ce que fit, en 2019, le Bloc québécois qui déposa une motion3 demandant le remplacement de la prière quotidienne marquant le début des travaux à la Chambre des communes par un moment de recueillement. Or, tant les libéraux que les conservateurs s’y sont opposés. Comment dès lors croire en la réelle neutralité religieuse du Parlement canadien ?

Comment les députés non croyants peuvent-ils signaler que la récitation de la prière porte atteinte à leur liberté de conscience ? En se levant et en sortant ?

Peut-être, mais cela créerait inévitablement deux classes de députés… et perturberait le fonctionnement de la Chambre. En attendant la fin de la prière avant d’entrer à la Chambre des communes ? Cela risquerait de créer d’importants retards dans les travaux de la Chambre puisqu’un nombre minimum de députés (quorum) se doit d’être présent avant la récitation de la prière.

Rappelons que la proportion de non-croyants ne cesse de croître au Canada: elle est passée de 4,4 % en 1971 à 23,9 % en 2011 (les résultats du recensement de 2021 sont à venir). Il est grand temps que nos politiciens en prennent acte et agissent de façon à assurer une vraie neutralité religieuse de l’État.

Espérons que, dans le respect de tous les citoyens canadiens, une solution pérenne puisse être trouvée et adoptée dès le début de la nouvelle session parlementaire à Ottawa.

1. Lisez la procédure et les usages à la Chambre des communes 2. Consultez le règlement de la procédure parlementaire 3. Lisez la motion du Bloc québécois 4. Consultez le portrait statistique des religions au Canada Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion