En tant que directrices du département de médecine de famille et du programme de résidence en médecine de famille, nous sommes tout à fait en accord avec le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) : tous les Québécois devraient avoir un médecin de famille pour un suivi à long terme. Cependant, une approche telle que celle qui est proposée dans le projet de loi 11, qui obligerait les médecins de famille à voir davantage de patients que ce qu’ils sont en mesure de faire en toute sécurité, ne permettra pas d’atteindre l’objectif. L’approche est par ailleurs susceptible d’entraîner des conséquences néfastes majeures, autant pour le bien-être des patients que pour celui des médecins, en plus de dissuader les étudiants à choisir la médecine familiale comme spécialité.

Les médecins de famille ont traversé la crise de santé publique la plus difficile qu’on a connue en 100 ans et la plus éprouvante qu’ils ont vécue dans leur carrière. C’est en grand nombre qu’ils ont prêté main-forte, malgré les risques pour leur propre santé, aux services des urgences, aux unités de soins hospitaliers, aux établissements de soins de longue durée, aux services de soins à domicile, aux cliniques de vaccination et aux unités COVID-19. Ils ont aussi réussi à assurer la continuité des soins auprès de leurs propres patients en s’adaptant à la télémédecine. Les médecins de famille, comme leurs collègues en soins infirmiers, travaillent déjà au-delà de leurs capacités : tristement, les cas d’épuisement professionnel signalés chez les médecins de famille ont triplé depuis le début de la pandémie.

Les stratèges de l’État pourraient être tentés d’appliquer des principes de gestion à la situation actuelle et de rechercher des solutions simples, comme le nombre total de patients pris en charge par chaque médecin de famille, les heures d’accessibilité et le nombre de patients pris en charge de la liste d’attente. Toutefois, des solutions variées et novatrices sont requises pour améliorer l’accès aux médecins de famille.

Les médecins de famille sont en mesure de prendre en charge un grand nombre de patients s’ils peuvent compter sur un système de soins qui les appuie.

Par exemple, bon nombre de médecins de famille auraient la possibilité d’augmenter le nombre de patients qu’ils reçoivent en consultation si le système public finançait mieux l’accès aux travailleurs sociaux, aux psychologues, aux physiothérapeutes et aux ergothérapeutes.

Les médecins de famille appartenant aux groupes de médecine de famille (GMF) du Québec souhaitent assurer la continuité des soins, une approche ayant fait ses preuves pour réduire considérablement les surdiagnostics, la polypharmacie et les hospitalisations, en plus d’améliorer la satisfaction des patients. Cela dit, les GMF n’ont pas les ressources dont ils ont besoin, ce que nos étudiants en médecine peuvent constater tous les jours. En faisant en sorte que les GMF puissent accéder aux ressources nécessaires et offrir des milieux de travail sains, il sera possible d’améliorer non seulement l’accès aux médecins de famille et la satisfaction des patients, mais aussi d’attirer davantage d’étudiants en médecine vers la spécialité de la médecine familiale.

Nous jugeons que l’adoption de politiques d’allure punitive dirigées contre les médecins de famille est préoccupante, car elle pourrait inciter les étudiants en médecine à délaisser cette spécialité.

Nous comptons sur ces étudiants pour former les médecins de famille de demain, mais le projet de loi 11 et la pression qu’il propose d’exercer sur les médecins de famille pourraient les inciter à choisir d’autres spécialités ou à quitter notre province pour travailler ailleurs. Une nouvelle diminution du nombre de médecins de famille entraînerait un cercle vicieux de contraintes et de départs dont les prochaines générations de patients subiront les répercussions.

Nous saluons la décision du MSSS d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine dans les universités de même que leur engagement à former 55 % d’entre eux en médecine de famille. Toutefois, chaque année, des postes restent vacants dans les programmes de résidence en médecine de famille au Québec. Nous invitons donc le MSSS à adopter une position appuyant fermement les médecins de famille, qui reconnaît leur valeur et qui les encourage, afin de susciter l’intérêt envers cette spécialité et ainsi améliorer l’accès aux médecins de famille pour toutes les Québécoises et tous les Québécois.

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