« Ne t’occupe pas de moi, mon chou », me disait souvent ma mère lorsque je la visitais lors d’un de ses fréquents séjours à l’hôpital. C’est aussi ce qu’elle m’a dit cette fois-ci, mais sa voix était beaucoup plus faible, plus pâteuse que les fois d’avant. Quelques jours plus tard, le 25 octobre 2021, dans un grand centre hospitalier de la métropole, ma mère, Paule Pratte, 99 ans, est morte.

Au cours de ses derniers jours, je me suis occupé d’elle du mieux que j’ai pu, c’est-à-dire très imparfaitement. Le système de santé, lui, s’est occupé d’elle comme on s’occupe trop souvent des vieillards mourants, soit avec la plus parfaite indifférence.

Notre premier ministre, François Legault, dit souvent qu’il faut prendre soin des personnes âgées qui, souligne-t-il avec raison, « ont bâti le Québec ». En prend-on vraiment soin au moment où la mort approche ? L’expérience de ma belle-mère, morte elle aussi à l’hôpital cette année, et celle de ma mère me permettent d’en douter. Bien sûr, il y a l’aide médicale à mourir, qui permet de « mourir dans la dignité ». Bien sûr, il y a les maisons de soins palliatifs.

Mais qu’en est-il des nombreux vieux et vieilles qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas accès à ce type de soins ?

Il arrive qu’elles souffrent le martyre, comme ma belle-maman, parce que médecins et infirmières, suivant un protocole ultra-rigide, ne parviennent pas à soulager la douleur. Ou il arrive que leurs derniers jours se passent dans une chambre double, l’autre lit occupé par un homme souffrant de diarrhée, sur un étage où certains des professionnels passent bien plus de temps devant leur ordinateur qu’à prodiguer des « soins de confort » à une vieille de 99 ans.

« Soins de confort », insistaient d’ailleurs les médecins, évitant à tout prix les mots « soins palliatifs ». Ils savaient quelle mort attendait ma mère.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, « l’objectif des soins palliatifs est d’obtenir, pour les usagers et leurs proches, la meilleure qualité de vie possible ». Ce n’est pas ce que ma belle-mère, ma mère et leurs proches ont vécu.

Ma mère est morte seule, entre la visite d’un fils le matin et celle de l’autre fils, prévue en après-midi. J’aurais tellement voulu être là pour lui tenir la main au moment de ses derniers efforts pour respirer…

Un peu d’humanité

Pendant son séjour de plus de deux semaines à l’hôpital, plusieurs médecins, infirmières et préposés se sont révélés absents et froids. C’est vrai qu’ils sont débordés et accaparés par les cas les plus graves ou les plus vociférants. Le dernier dimanche, il n’y avait qu’une seule infirmière pour tout l’étage. Mais tout de même, un peu d’humanité ?

Ma mère passait des heures à gémir dans son lit, à arracher jaquette, sondes et aiguilles. Pour que quelqu’un daigne ou puisse se pointer le nez dans la porte, il fallait peser sur le bouton d’aide. L’aide arrivait, 10 à 15 minutes plus tard, sous la forme d’une préposée qui ne pouvait rien faire d’autre qu’informer l’infirmière, qui elle arrivait 15 autres minutes plus tard. Trente minutes à gémir de douleur, d’inconfort ou de peur, c’est long. Surtout quand ces minutes sont parmi les dernières de votre vie.

L’indifférence

Nous avons conçu un système de santé dont de grands pans restent de glace devant les souffrances physiques et psychologiques des vieux mourants. « Ce qui détruit le monde, c’est l’indifférence », chantait Bécaud, que ma mère m’a fait découvrir au Palais Montcalm, il y a 50 ans.

L’indifférence. Allez faire un tour aux urgences de n’importe quel hôpital. Vous y découvrirez à coup sûr quelques vieillards, amaigris au fond de leur civière, stationnés le long d’un mur.

Des vieillards complètement perdus dans ces établissements aussi complexes dans leur architecture que dans leur bureaucratie. Des vieillards que personne ne vient visiter.

L’indifférence. Comment expliquer autrement que l’on ait déclaré « réussie » la gestion de la pandémie de COVID-19 au Québec alors que des milliers de vieux sont morts, abandonnés, dans des CHSLD et des résidences ? Il ne s’agit pas de blâmer M. Legault ou ses ministres de la Santé. Il s’agit d’admettre que nous tous, collectivement, devrions avoir honte d’avoir aussi lamentablement échoué. Il faut surtout admettre que cet échec n’est pas un cas isolé, mais est symptomatique de la façon dont on traite de nos jours les vieux mourants.

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