Regarder des maisons hors de prix sur Centris est un de mes plaisirs.

J’éprouve une fascination morbide pour les cabanes de 39 pièces, les Monster Houses insolentes avec leur moyenne de trois chambres par membre de la famille. Qui vit dans ces McMansions à plusieurs millions, dans ces cages modernes ou à tourelles ostentatoires dans les huit chiffres ? Combien de pièces de ces maisons sont réellement utilisées ? J’y perçois de l’indécence étalée et du désespoir moral. Et beaucoup de solitude.

Les maisons nous touchent. Parlent de nous. Elles construisent nos souvenirs, abritent nos joies, nos amours, nos familles.

Nos logements, appartements, bungalows, nos petits condos, parlent d’envies, sont témoins de nos inquiétudes ou de notre isolement, hébergent des drames secrets et des fêtes superbes. Ils ont connu le confinement, le travail à domicile, les décors botchés pour les zooms. Ils sont refuges, cocons. Ce n’est pas étranger au fait que la vision de sans-abri nous bouscule tant. L’idée d’être sans toit est dérangeante, enfouie pas si profondément en nous. Le toit accueillant est pourtant une notion variable. Nos parents ou nos grands-parents vivaient à huit ou neuf dans un 5 ½ alors qu’on se tape sur les nerfs à deux dans 1200 pi2. Tout est relatif, et question d’époque.

La nôtre est marquée par une crise du logement et une surchauffe immobilière. Non seulement le parc d’habitations stagne-t-il, mais encore le prix moyen des maisons a quadruplé à Montréal depuis les années 2000, et s’envole partout au Québec. Un grave enjeu d’équité intergénérationnelle se pose : l’accès des plus jeunes à l’immobilier étant bien plus difficile qu’il ne le fut pour les boomers. Alors on se déplace de plus en plus loin sur le territoire pour accéder à son rêve immobilier, avec le prix social, environnemental, psychologique qui vient avec.

La question de la crise du logement est si brûlante qu’elle s’est invitée dans les campagnes électorales récentes, aussi bien municipales – même dans les petites municipalités – que fédérale, avec son arsenal de solutions partielles : logements sociaux, coops d’habitations, densification urbaine jusqu’en banlieue. Tout cela laisse un sentiment d’inefficacité et de désarroi, car la crise touche aussi un sentiment profond : comment voulons-nous habiter notre espace ? La question du logement et du territoire sera cruciale ces prochaines années. Car l’étalement urbain, l’expansion des banlieues jusqu’aux terres agricoles posent problème. Il est question d’accélération des changements climatiques, de perte d’habitats naturels. Plusieurs croient qu’il faudra densifier nos logements pour sauver la planète. Mais en même temps, le rêve légitime de la maison individuelle est inscrit dans notre ADN de Nord-Américains, de conquérants des grands espaces. Même en ville, nous aspirons à la cour individuelle. Nos maisons sont nos refuges, je le répète. Notre rapport à elles est complexe et émotif, tout sauf rationnel et logique.

Nos maisons sont l’extension de notre intimité, de notre projection sociale. La crise immobilière s’incarne dans le béton, mais relève aussi des sentiments. C’est pourquoi elle sera difficilement soluble.

Comment habiterons-nous, dans 15, 20 ans ? À quelles préoccupations faudra-t-il répondre ? On commence à peine à se rendre compte que notre demi-sous-sol ou notre manoir victorien a une incidence sur notre empreinte écologique, mais aussi sur notre santé et nos émotions ; le confinement nous l’a appris. Notre choix de maison n’est pas innocent ni sans répercussions sur la société. Il y a toujours eu inégalité des chances qui se lit dans le type de logement, dans les quartiers contrastés. Les appartements sont des marqueurs sociaux et économiques. S’ajoute aujourd’hui la question environnementale. Je prédis une profonde mutation dans notre manière d’habiter. Dans une ou deux générations, nous regarderons les trop vastes demeures d’un œil suspicieux. Elles seront symboles de gloutonnerie énergétique, d’égoïsme environnemental et d’ego surdimensionnés.

Ma passion pour Centris s’est modifiée. Elle ne relève plus du voyeurisme, mais de plus en plus, d’une prise de conscience environnementale. La raison, espérons-le, viendra clencher l’insolence immobilière…

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