L’humanité est à la fois une minuscule et très puissante part du vivant. Pour vous donner une idée, la biomasse humaine sur la Terre est comparable à celle des termites. En 2018, le biologiste Yinon Bar-On, de l’institut Weizmann, et ses collaborateurs ont estimé la biomasse de carbone des principaux groupes taxonomiques du vivant. Un travail fantastique qui a permis de mettre en évidence l’impact de l’humanité, si infime, sur le reste de la création.

L’humanité pèse 55 millions de tonnes. Ce qui, en termes de biomasse, ne représente qu’un dix millième de celui de l’ensemble de la vie sur notre planète. À titre de comparaison, même si on ne voit que leurs fructifications, les champignons pèsent 12 milliards de tonnes et les bactéries, qui occupent la deuxième place du classement, affichent 70 milliards de tonnes sur la balance. Les grands champions de cette évaluation quantitative sont les plantes. Forts de leurs 450 milliards de tonnes, les végétaux constituent 82 % de la biomasse terrestre, y compris les 10 milliards de tonnes de plantes cultivées qui poussent dans nos champs.

Alors, même si nous aimons bien parler de la planète comme si elle était notre propriété privée, elle est avant tout un habitat de plantes. La Terre est une planète végétale, fongique et bactérienne. Mis ensemble, champignons, bactéries et plantes représentent 96,7 % de la biomasse terrestre.

PHOTO PATRICK T. FALLON, ARCHIVES BLOOMBERG

Magasinage de Noël dans un Wal-Mart à Los Angeles

En vouloir toujours plus

Avec 200 millions de tonnes à leur compte, on peut même dire qu’il y a approximativement quatre fois plus de biomasse virale que de biomasse humaine dans le vivant. Pourtant, si infinitésimalement représenté soit-il, l’humain est l’espèce qui nuit le plus à l’équilibre de la planète.

Malgré notre poids plume, disent les auteurs, nous avons déjà détruit la moitié de la biomasse des espèces végétales et 83 % de celle des mammifères sauvages.

Pour mettre une image sur ce dernier chiffre, il suffit de penser aux colons européens devant les gigantesques troupeaux de bisons des grandes plaines américaines. Pensez à des personnages sordides comme Buffalo Bill que le cinéma a essayé de nous passer pour des héros. Pensez aussi à l’hécatombe causée dans les écosystèmes de savanes immensément diversifiés de l’Afrique lorsque les explorateurs européens ont ouvert les chemins aux missionnaires et, plus tard, aux forces colonisatrices.

Tous ces gros mammifères exotiques ont été traités comme des pigeons d’argile par les amateurs de gâchettes qui rêvaient de ramener une tête de lion, une peau de girafe, une corne de rhinocéros ou des défenses d’éléphant dans leur pays. Des trophées qu’ils considéraient certainement comme des témoignages ostensibles de leur courage et, par conséquent, de la grosseur de leurs testicules. Si chasser pour manger est compréhensible, il y a toujours, dirait peut-être Freud, une histoire de grosseur de roubignoles cachée dans cet incompréhensible chasse aux trophées.

Mais bien avant la modernité, Sapiens a massacré une grande partie de la mégafaune au début de son odyssée planétaire. En Amérique, Eurasie, Australie et autres îles lointaines, partout où il a débarqué, quelques milliers d’années plus tard, la mégafaune a tiré sa révérence en grande partie à cause de ses activités de prédation. La sédentarisation au néolithique, la domestication des animaux et des plantes, les entreprises coloniales, la révolution industrielle, l’explosion de la démographie mondiale, l’élevage et l’agriculture intensifs, les dérives du capitalisme ont tous été des facteurs marquants de la mainmise de Sapiens sur le vivant.

Dans notre boîte crânienne se trouve l’organe de notre succès évolutif, mais aussi de notre grand potentiel destructeur. Notre cerveau est extraordinairement créatif, mais il porte un vice de fabrication.

Pour cause, l’évolution y a laissé des programmes venus du fond des âges. Ce défaut, c’est notre génétique d’insatisfaction, dont le principal médiateur est la dopamine. L’insatisfaction, c’est une pulsion de la vie humaine, mais aussi la malédiction pour la planète et sa biodiversité. C’est une part de notre humanité qui a été très bénéfique pour nos ancêtres lointains qui est devenue un gros problème pour la descendance des chasseurs-cueilleurs que nous sommes. Si nos ancêtres n’avaient mangé que des champignons comme les vaches broutent l’herbe tous les jours, Sapiens ne serait pas devenu aussi intelligent. L’humain, c’est l’animal qui, une fois la pirogue inventée, veut une embarcation plus large, des rames plus performantes, un bateau à voile, un bateau à moteur, etc. C’est ce désir permanent de changement, de perfection, de beauté et de confort qui a permis de passer des canots en osier ou en écorce d’arbre de nos ancêtres à ces yachts qui valent aujourd’hui des centaines de millions de dollars et ces bateaux de croisière qui dépassent la démesure, mais qu’on cherche encore à améliorer.

Comment vivre durablement sur cette biosphère aux ressources limitées quand notre cerveau porte un programme qui explique que des gens à qui on attribue une fortune de 100 milliards de dollars en veulent encore. Certains sont même prêts à massacrer des écosystèmes vulnérables pour ajouter quelques milliards à leur fortune ou à cacher illégalement cet argent pour éviter de s’acquitter de leur juste part du fardeau fiscal. Pourtant, en équivalent ressource, 100 milliards, c’est suffisant pour vivre confortablement pendant 25 000 ans. Cette façon de récolter démesurément sans partager ou de moissonner pour ses héritiers, comme le disait mon grand-père, est une spécificité de notre espèce incompatible avec un développement durable.

À titre de comparaison, posséder 100 milliards pour une vie humaine, c’est comme si, à la fin de l’automne, un écureuil ramassait suffisamment de glands pour remplir le stationnement d’un magasin Costco.

Si une telle situation se produisait, toutes les chaînes de télévision de la planète viendraient couvrir cette anormalité. Pour la même raison, on devrait être nombreux à s’offusquer plutôt qu’à déifier Jeff Bezos avec 177 milliards, Elon Musk avec 151 milliards ou Bill Gates avec ces 124 milliards. Toutes ces grandes fortunes ont laissé sur leur sillage des empreintes écologiques incommensurables. Si tous ces gens démesurément riches veulent rendre service à l’humanité, il devrait réinjecter une grande partie de leur fortune dans la lutte aux bouleversements climatiques et écologiques et leurs conséquences sur les populations vulnérables.

Nous avons peut-être besoin de moins de logique économique et de plus de sagesse. Il y a une petite légende qui raconte qu’au sommet de sa gloire, Alexandre le Grand aurait un jour demandé à un sage pourquoi il ne voulait pas s’incliner devant la puissance du grand conquérant qu’il était. Le vieillard lui aurait répondu : « Roi Alexandre, aucune personne ne peut se prévaloir d’une surface de la Terre plus grande que l’endroit où elle vit. Tu es toujours à voyager et soumettre d’autres peuples par les armes et la terreur. Mais bientôt tu seras mort et alors, de tous ces territoires conquis, il ne te restera plus que la petite parcelle de terre suffisante pour enterrer un corps humain. »

Malheureusement, nous sommes tous, à différents degrés, porteurs de ce défaut de fabrication qui amène à accaparer égoïstement des ressources comme si on allait vivre éternellement. Que voulez-vous ? L’humain, c’est l’animal qui cherche toujours plus et toujours mieux. Plus d’argent, de pouvoir, de confort, de sexe, de reconnaissance et moins d’effort, tel est, selon le scientifique Sébastien Bohler, le slogan de ce programme logé dans les anciennes parties de notre cerveau qui nous amène à scier la branche sur laquelle on est assis. Un appétit qui, lorsque mélangé au néolibéralisme et à l’idéologie consumériste avec ces publicités nous rappelant que notre bonheur dépend de ce que nous sommes capables d’acheter, constitue un réel potentiel d’autodestruction

PHOTO DANIEL MIHAILESCU, AGENCE FRANCE-PRESSE

Récupération de métal à Brăila, en Roumanie

On commence à connaître la chanson

La 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, appelée aussi la COP26, arrive. Comme d’habitude, les décideurs de la planète vont se réunir pour boire du bon vin, manger des repas gastronomiques et faire de belles promesses. Mais on commence à connaître la chanson. Une fois les lumières éteintes, tous ces chefs se disperseront aussi rapidement que leurs promesses. Disons qu’à la fin, il ne restera que des réalisations cosmétiques, car c’est la croissance économique qui fait gagner des élections dans nos sociétés. Or, comment faire coexister durablement une croissance illimitée avec la santé d’une petite planète aux ressources limitées ? Comment faire coexister un enrichissement individuel illimité avec la survie du reste de la biodiversité ?

Changements climatiques, COP26, biodiversité, virage vert, développement durable, protection de l’environnement, depuis 30 ans les blablas politiques continuent. Pendant ce temps, ce sont des centaines d’espèces qui disparaissent sur la planète comme les grains de sable d’un sablier qu’on ne pourra jamais retourner. Tous les grands mammifères sauvages qui nous impressionnent et nous attendrissent comme les lions, les girafes, les rhinocéros, les ours polaires, les tigres sont à quelques pas du précipice. Pendant ce temps, à coups de machette, l’humain marche sur les cadavres et saccage ce tableau extraordinaire que la nature a mis plus 3,5 milliards d’années à peindre.

En fait, nous nous comportons avec la planète exactement comme le virus de la COVID-19 se comporte avec nous. Comme le SARS-CoV-2, l’humanité fait beaucoup de victimes, beaucoup de malades et confine toujours plus étroitement le reste du vivant dans de petits territoires en détruisant ses habitats. Voilà pourquoi de plus en plus de scientifiques pensent désormais que le rapport que nous entretenons avec la biosphère est de type parasitaire. Le seul point positif dans toute cette histoire est que la Terre a une grande capacité de résilience. Elle survivrait à notre passage comme nous survivrons au microbe de la COVID-19. La preuve, la planète a déjà connu cinq extinctions de masse et chaque fois, au bout de quelques millions d’années, elle s’est reconstruite. C’est ce que l’humoriste américain George Carlin expliquait autrement lorsqu’il lançait : « Ceux qui parlent de sauver la planète ont tort de penser ainsi. C’est l’humanité qu’il faut chercher à sauver. »

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