À l’approche de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow, l’anxiété et l’espoir redoublent d’intensité. Il y a de l’anxiété tout d’abord, parce qu’en dehors d’une poignée de gens qui ont décidé de ne pas voir le problème, nous pouvons tous constater les dégâts que nous infligeons à la planète.

Les incendies, les inondations et la montée du niveau des mers provoquent des ravages dans le monde entier, tandis que la destruction de l’environnement et les conflits qui en résultent déclenchent des déplacements de réfugiés à grande échelle, qui évoquent des images bibliques.

Mais il y a aussi de l’espoir, parce que certains – notamment la militante pour le climat Greta Thunberg, avec son appel encourageant et à long terme pour une action plus ambitieuse – reconnaissent l’ampleur du défi auquel l’humanité est confrontée. Dans cet esprit, l’Union européenne (UE) a lancé le Pacte vert pour l’Europe, qui vise à rendre l’UE neutre en carbone d’ici 2050.

Les États-Unis entendent également atteindre zéro émission nette d’ici le milieu du siècle et ont récemment annoncé qu’ils allaient multiplier par deux leur aide financière aux pays en développement aux prises avec la crise climatique, à hauteur de 11,4 milliards de dollars par an. Certains législateurs américains, notamment la représentante Alexandria Ocasio-Cortez et le sénateur Ed Markey, ont proposé un New Deal écologique, un plan ambitieux de remaniement de l’économie américaine, en vue d’éliminer à terme toutes les émissions de dioxyde de carbone aux États-Unis.

Mais malgré ces efforts, le fait est que nous avons commencé tard dans la lutte contre les changements climatiques et que nous devons à présent accélérer les mesures correctives si l’humanité ne veut pas suivre la même trajectoire que les dinosaures.

La crise climatique est un problème mondial qui nécessite l’intervention de tous les pays, mais de nombreuses économies en développement, notamment certaines des plus vulnérables au climat, n’ont pas les moyens financiers de prendre des mesures suffisantes. Certaines économies émergentes, dont l’Afrique du Sud et une grande partie de l’Asie du Sud et du Sud-Est, dépendent énormément du charbon et devront subir une transition verte qui ne sera pas sans effets perturbateurs.

Nous avons donc besoin d’un engagement collectif pour concevoir des systèmes de soutien – financiers et scientifiques – afin d’aider tous les pays à contribuer à leur manière. L’accord de Paris sur le climat de 2015 a été un succès diplomatique, rassemblant le soutien de près de 200 pays. Mais le monde n’est pas aujourd’hui à la hauteur de l’objectif fixé à Paris – limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

PHOTO ANDY BUCHANAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation d’Ocean Rebellion à Glascow, en Écosse, où se déroulera la COP26.

Volonté réelle ou hypocrisie ?

Le rassemblement de Glasgow va-t-il catalyser une action véritable ? Thunberg a récemment averti que « les dirigeants vont dire : “Nous ferons ceci, nous ferons cela”, mais en fin de compte, ils ne feront rien ». En outre, la frustration généralisée à l’égard des ambitions climatiques insuffisantes des dirigeants ne se limite pas aux jeunes. La reine Élisabeth II de Grande-Bretagne a exprimé un sentiment similaire en disant que « c’est vraiment agaçant de les entendre parler – et de voir qu’ils ne font rien ».

Un désespoir de ce genre est naturel. Quand nous voyons les mesures climatiques accumuler un tel retard par rapport à la rhétorique, nous nous demandons inévitablement si tout ce discours n’est pas de la pure hypocrisie.

Mais ce n’est pas nécessairement le cas. Si nous voulons léguer une planète vivable aux générations futures, il est essentiel de comprendre pourquoi il peut y avoir une disjonction entre ce que chaque personne a l’intention de faire et la manière dont le groupe tient effectivement ses promesses. Des jeux emblématiques comme le dilemme du prisonnier ont montré que c’était le cas dans le domaine d’une prise de décision égoïste.

Mobiliser la détermination et l’engagement nécessaires pour faire face à la crise climatique est un problème pour les sciences sociales et la philosophie morale autant que pour les politiciens.

Contrairement à ce que l’économie néoclassique pourrait nous faire croire, l’économie moderne ne fonctionne pas comme une série de marchés impersonnels uniquement motivés par les aspirations des acteurs individuels. Au contraire, comme le note Mariana Mazzucato dans son livre Mission Economy : A Moonshot Guide to Changing Capitalism, les marchés sont « intégrés au sein de règles, de normes et de contrats qui affectent le comportement organisationnel, les interactions et les conceptions institutionnelles ».

Le « dilemme de Greta »

C’est donc une erreur d’assimiler l’action collective à la somme des intentions individuelles. Lorsque les gens disent vouloir tout faire pour éviter une catastrophe climatique mais ne font pas grand-chose, ce n’est peut-être pas de l’hypocrisie. Ils sont peut-être aux prises avec ce que j’ai décrit dans un article récent sous le terme de « dilemme de Greta » 1..

Dans ce jeu, un groupe de personnes poursuit au départ ses propres intérêts, sans se soucier de la manière dont les dégâts infligés à l’environnement et causés par leurs actions vont nuire aux générations futures. Si les individus deviennent alors respectueux de l’environnement et prennent des mesures correctives, les modèles économiques traditionnels prédisent qu’un tel changement conduira à des améliorations du bien-être des générations futures.

Mais dans le monde complexe et stratégiquement connecté où nous vivons aujourd’hui, le résultat peut être différent.

Le dilemme de Greta illustre le résultat paradoxal selon lequel les individus qui deviennent collectivement respectueux de l’environnement nuisent davantage à l’environnement.

Semblable à l’une de ces peintures paradoxales de M. C. Escher, c’est l’entrelacement de petites étapes individuelles qui conduisent le groupe à une destination qu’ils n’ont pas recherchée. Loin d’aider les générations futures, elles finissent par leur nuire.

Certes, ce jeu est délibérément conçu pour mettre en lumière le paradoxe. Mais cela montre que dans l’économie mondiale complexe d’aujourd’hui, nous devons consacrer beaucoup plus d’attention aux fondements stratégiques de l’interaction humaine afin de concevoir des politiques qui peuvent nous aider à éviter la catastrophe climatique.

Cela peut sembler un argument académique étroit d’esprit, mais ce n’est pas le cas. Si nous voulons réaliser l’ambition de Greta Thunberg, qui est à mon avis véritablement partagée par de nombreux individus – dont de nombreux dirigeants –, nous devons alors utiliser le dilemme de Greta comme base pour concevoir les politiques et les institutions dont nous avons besoin.

Ainsi, même si nous avons raison de nous inquiéter que les dirigeants n’en fassent pas assez à la COP26, nous devons également être conscients qu’il y a un problème scientifique sur cette question. À propos des changements climatiques et d’autres questions, nous devons comprendre le jeu social et économique que nous jouons, et essayer de modifier ses règles afin que nos intentions morales individuelles soient mieux reflétées dans les résultats collectifs.

* L’auteur est également professeur d’économie à Cornell University et chercheur non résident à la Brookings Institution

1. Lisez « Convention, Morals and Strategy : Greta’s Dilemma and the Incarceration Game » (en anglais)

Copyright : Project Syndicate, 2021

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