Si vous soupçonnez que les chiffres de Statistique Canada sur l’inflation alimentaire ne reflètent pas votre réalité au magasin, vous n’avez pas tort.

Plusieurs d’entre nous ont toujours entretenu des doutes sur l’exactitude des chiffres publiés par Statistique Canada, notamment en lien avec l’inflation alimentaire. Depuis quelques années, il devenait difficile de comprendre pourquoi l’inflation alimentaire annoncée par l’agence fédérale à Ottawa différait autant de ce que les consommateurs percevaient à l’épicerie. Grâce au travail d’enquête d’un journaliste, nous avons maintenant une explication.

Paul Webster a rédigé un excellent article la semaine dernière pour le Toronto Star sur l’indice des prix à la consommation (IPC). Il a été le premier journaliste au Canada à défier et à mettre en doute les données présentées par Statistique Canada sur les coûts alimentaires. L’agence fédérale lui a même accordé une entrevue, occasion extrêmement rare, où elle a avoué que sa stratégie de collecte de données sur le terrain nécessitait une approche différente.

L’article a révélé que certains experts croient que l’IPC canadien ne reflète aucunement ce qui se passe à l’épicerie. BetterCart, une firme canadienne qui récolte quelque 20 millions de données par semaine pour mieux comprendre l’inflation alimentaire partout au pays, démontre à quel point la disparité des prix peut être frappante.

Par exemple, pendant que Statistique Canada nous indique récemment que le prix du ketchup a baissé d’environ 5,9 % depuis janvier, BetterCart nous dit que le prix de ce même ketchup a augmenté de 7,3 %.

Les frites surgelées enregistrent une hausse de 5,9 %, mais pour BetterCart, cette hausse représente plutôt 26,2 %. Même constat pour le beurre : une augmentation de 2,8 % par rapport à 35,5 %. Le « buttergate » et la crise de l’huile de palme dans l’industrie laitière ont sans doute forcé les producteurs laitiers à augmenter leur coût de production, il fallait s’y attendre.

Bref, il existe une panoplie de produits pour lesquels la hausse de prix est sous-estimée. Dans certains cas, on assiste à la situation contraire, mais pour à peu près le quart des produits, la hausse enregistrée par BetterCart surpasse celle de l’organisme national. Statistique Canada semble éprouver de la difficulté à suivre les changements du marché, surtout lorsque les prix démontrent une grande volatilité.

Auparavant, personne ne pouvait contrarier l’agence fédérale, mais les nouvelles technologies et les réseaux d’information hypercommunicatifs rendent maintenant facile la surveillance des prix au détail, pratiquement en temps réel. D’abord, Statistique Canada ne travaille qu’avec trois chaînes alimentaires. L’agence tente d’augmenter l’étendue des données qu’elle reçoit chaque mois, mais en vain. Elle sonde donc peu de chaînes, peu d’enseignes, peu de magasins. En effet, nous pouvons nous demander de quelles enseignes l’échantillonnage est formé. Les consommateurs savent qu’il y a une différence entre une chaîne au rabais et un magasin dont le coût du panier d’épicerie est généralement plus élevé.

Et, bien sûr, pour récolter ces données, il faut des employés, mais le manque de main-d’œuvre crée déjà un immense problème pour notre économie. Nous n’avons aucune idée si la lecture des prix sur le terrain se fait aussi rigoureusement qu’elle le devrait.

D’autre part, Statistique Canada ne s’appuie que sur environ 100 000 points de données pour son rapport mensuel. L’agence doit donc utiliser des moyennes et des approximations qui peuvent nous offrir un portrait quelque peu trompeur. Chaque magasin peut contenir de 8000 à 10 000 produits et, dans certains cas, ce nombre peut même dépasser 30 000. Pour plus de précision, Statistique Canada se doit d’augmenter l’étendue de collecte de données à travers l’industrie.

Quantités réduites

Pour en rajouter, la « réduflation » constitue aussi un autre facteur difficilement mesurable à long terme. La majorité des transformateurs vont réduire les quantités sans modifier les prix, surtout durant une période inflationniste comme celle que nous connaissons présentement. Au lieu d’effrayer la clientèle avec des prix plus élevés, les entreprises réduisent les quantités. Or, dans le panier d’épicerie de Statistique Canada, environ 70 % des produits sélectionnés affichaient des quantités qui n’existent plus sur le marché canadien. La plupart des formats ont changé. Même si Statistique Canada mentionne qu’elle tient compte des effets de la « réduflation », tout porte à croire qu’en comparant l’IPC avec BetterCart, les conversions de quantité ne sont pas mesurées adéquatement.

Mais il existe des solutions. Au lieu de se fier à l’industrie, le ministère de l’Agriculture des États-Unis a renversé la donne en créant un panel de consommateurs qui regroupe environ 120 000 ménages américains. La collecte des données au détail s’effectue par les consommateurs et non par les épiciers. Une option intéressante à considérer pour notre propre agence fédérale.

En somme, personne n’est à blâmer pour ce manquement, mais une mesure précise de l’inflation alimentaire revêt une importance cruciale. Statistique Canada jouit d’une excellente réputation à travers le monde, mais l’agence doit maintenant réfléchir à sa stratégie et au marché. Pour bien faire son travail, elle doit revoir sa façon de procéder ainsi que son budget pour arriver à bien saisir les effets de l’inflation alimentaire sur la vie des Canadiens.

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