(Moncton, Nouveau-Brunswick) La nouvelle est passée inaperçue : en janvier dernier, on a appris sur les ondes de Radio-Canada que des communautés de la Première Nation Wolastoquey (Malécite) avaient entamé une poursuite contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick pour obtenir un titre sur environ la moitié du territoire de la province.

Le 15 octobre, le gouvernement a envoyé une note à l’ensemble des employés de la fonction publique provinciale leur interdisant d’affirmer lors des déclarations de reconnaissance territoriale que le Nouveau-Brunswick constituait un territoire « non cédé ». Feignant un sentiment de panique, le gouvernement affirme en guise de justification que c’est présentement plus de 60 % du territoire qui est revendiqué par les différentes communautés autochtones de la province.

Les partisans de la réconciliation sont depuis furieux. Ils reprochent surtout au gouvernement son attitude inamicale et son mépris des faits : dans l’ensemble des Maritimes et donc dans l’entièreté du Nouveau-Brunswick, les communautés autochtones n’ont jamais signé de traité cédant formellement le territoire. Ils lui reprochent aussi son autoritarisme d’un autre âge et son attaque à la liberté intellectuelle des membres de la fonction publique. Ils ont bien sûr raison. Mais en se limitant à ces critiques superficielles, ils tombent dans ce que Taiaiake Alfred, politologue originaire de Kahnawà:ke, désigne comme étant le piège de la réconciliation recolonisatrice.

Juridiquement, un territoire non cédé n’a pas nécessairement à être cédé. Le territoire sur lequel se situe la ville de Saint-Jean de Terre-Neuve, par exemple, est un territoire ancestral béothuk non cédé ; or, les Béothuks n’ayant pas survécu à l’arrivée des Européens, le territoire ne leur sera jamais cédé. Au Nouveau-Brunswick, il est loin d’être certain que les communautés autochtones parviendront à convaincre les juges qu’elles ont effectivement droit à un titre sur une aussi large part du territoire. Et si elles y parvenaient ? La province demeurerait aisément reconnaissable : les membres de la Première Nation Wolastoquey connaissent les limites du régime canadien et demandent ici pour l’essentiel à se faire reconnaître un droit à être consultés dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles. Ils ne réclament pas un quelconque droit de veto, encore moins un droit d’exproprier qui que ce soit. Dans le droit canadien, la portée d’un titre ancestral est finalement assez limitée.

Consulter davantage les Autochtones, les remercier pour leur hospitalité avant les matchs de hockey, ou en nommer une représentante de la reine participe sans doute d’une intention généreuse, mais ces gestes ne contribuent en rien à décoloniser le pays ; la réconciliation qu’ils visent est une réconciliation qui tient pour acquise la légitimité des structures coloniales existantes.

Légalement, le territoire du Canada actuel n’appartenait à personne avant l’arrivée des Européens. Aujourd’hui, il appartient à environ 90 % à la Couronne. L’histoire de cette prise de possession est complexe, mais une réalité demeure très simple : la terre a été saisie par les puissances européennes. Cette acquisition originelle est le cœur du problème colonial canadien. Les communautés autochtones ne pouvaient céder un territoire qui ne leur appartenait pas. Plus prosaïquement, tous les territoires légalement cédés (par exemple par l’entremise des traités numérotés dans les Prairies et l’ouest de l’Ontario, ou encore de la convention de la Baie-James et du Nord québécois) l’ont été dans un contexte juridique où un territoire non cédé situé sur une terre de la Couronne est une propriété de la Couronne. Ne nous laissons pas berner par les figures de style du jargon légal canadien, le pays a été spolié.

Avant l’arrivée des Européens, les membres des nations Wolastoquey, Mi’kmaq et Passamaquoddy étaient chez eux sur le territoire actuel du Nouveau-Brunswick, encore aujourd’hui à plus de 80 % couvert de forêt. Sans avoir rien cédé, ils sont aujourd’hui dans des réserves dont le sol appartient à la Couronne à réclamer un vague droit de parole quant à l’exploitation des ressources forestières situées sur des terres de la Couronne ou sur d’anciennes terres de la Couronne appartenant aujourd’hui à des exploitants privés.

Décidément, vus du Nouveau-Brunswick, les territoires non cédés apparaissent moins comme des occasions de réconciliation qu’un concept colonialiste visant à légitimer une conquête. Le point de départ d’un processus de décolonisation n’est pas l’incantation ritualisée d’une déclaration de reconnaissance territoriale, mais la remise en question de l’acquisition originelle du territoire par la Couronne.

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