Le discours inaugural du premier ministre François Legault, qui présentait ses priorités pour la dernière année de son mandat, a ramené un vieux et pieux rêve qu’on entend depuis 30 années : un médecin de famille et une garderie pour tous.

Une utopie semblable aux cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, aux promesses de faire payer leur juste part en impôts aux plus riches ou au retour des Nordiques. On en parle et on en parle, mais comme dirait Sam Hamad, l’histoire nous dira si les babines ont les deux pieds dans la même bottine.

Notre système public de santé a beau être égalitaire et progressiste, y trouver un médecin de famille peut être un exercice de patience. En fait, jamais « patient » n’aura si bien porté son nom que dans le système de santé québécois. Je ne sais pas si vous allez me croire, mais je suis déjà arrivé à un tel point de découragement que j’ai placé mes espoirs en mon fils qui exprimait le désir de devenir médecin. Il avait à l’époque 6 ans et je lui ai fait comprendre que la dernière chance de trouver un médecin pour notre famille reposait désormais sur lui.

Trêve de plaisanteries, revenons aux déclarations très ambitieuses de François Legault. En plus de vouloir trouver un médecin à tous ceux qui le désirent, M. Legault s’engage à créer 37 000 nouvelles places en garderie. Un sentier colossal devant lequel beaucoup de ses prédécesseurs ont fini par déclarer forfait.

Petite anecdote sur ce sujet. Quand est arrivé l’âge de la garderie, nous avons inscrit notre fils sur cette fameuse liste d’attente pour trouver une place en CPE. Je ne sais pas si vous allez me croire encore, mais mon fils a eu le temps d’entrer au secondaire sans que le téléphone sonne. C’est pour cette raison que je conseille désormais aux jeunes qui veulent devenir parents de prendre de l’avance. Pour se donner un peu plus de chance, pourquoi ne pas inscrire le spermatozoïde et l’ovule quelques années avant de concevoir le bébé ? Mais patience, les jeunes parents, il y aura bientôt de la place pour tous les enfants dans notre système de garderies qui fait rêver Justin Trudeau et Jagmeet Singh. En cause, Legault a décidé de prendre le taureau par les cornes et de s’attaquer à ces deux écueils sociétaux. Si on a bien compris, il n’hésitera pas à forcer la main aux médecins omnipraticiens pour augmenter le nombre de personnes dans leur carnet de prise en charge. C’est une entreprise costaude, car il faut rappeler ici que les médecins ont un sacré pouvoir dans nos sociétés.

Nous leur avons donné une puissance à la hauteur de leur rôle qui, il faut le rappeler, est primordial. Nous avons décidé collectivement que bien avant l’éducation, l’environnement, la lutte contre la pauvreté et tout le reste, trouver un médecin pour nous protéger de la mort et investir toujours plus dans le système de santé étaient nos principales priorités. Ainsi, de 22 milliards de dollars en 2004, le budget de la santé au Québec est passé à 45 milliards en 2020. Ce qui représente 43 % de tout le pognon dans nos dépenses annuelles.

C’est près d’un dollar du budget sur deux qui est bouffé par le ministère de la Santé. Pourtant, si gigantesque soit cette part du lion budgétaire attribuée à la santé, elle est loin d’être suffisante.

À travers le Canada, la santé en demande toujours plus. C’est pour cela que les premiers ministres des provinces doivent, à juste raison, harceler sans cesse Ottawa pour nourrir la bête. Avec la population vieillissante et la sédentarité tant catalysée par l’industrie du numérique, le budget de la santé deviendra de plus en plus un gouffre sans fond, voire sans fonds, malgré les milliards. Est-ce qu’il faudra y mettre toujours plus de pognon au détriment des autres secteurs d’activité de nos sociétés ? Est-ce qu’il nous restera suffisamment de ressources pour faire de l’éducation et de la protection de l’environnement, qui sont tout aussi importantes dans une vision de santé dite globale, des priorités ?

Le problème du système de santé est bien plus complexe que le simple fait de trouver un docteur qui accepte de nous prendre en charge. Tous ceux qui fréquentent les hôpitaux savent que trouver un médecin de famille est la première étape d’une course à obstacles qui se complique lorsqu’une urgence nous pousse à vouloir voir ce docteur rapidement. C’est quand l’adversité se pointe et que vous avez besoin de voir votre médecin adoré, de lui parler ou de recevoir sa réponse à votre courriel, que les choses se compliquent. Que voulez-vous ? Quand vous avez plus d’un millier de personnes sur votre liste de patients, ce n’est pas facile de répondre rapidement à toutes les urgences.

Où se trouve la solution ? Je ne sais pas. Mais, pour prendre le taureau par les cornes, il faudra un jour s’attaquer à quelques vaches sacrées et oser parler de ticket modérateur et de transfert de plus de pouvoir aux infirmières et aux pharmaciens.

Mais on sait aussi tous qu’en plus d’être très haute, la muraille qui sépare les médecins du reste des travailleurs de la santé est jalousement surveillée. Il faudra plus que des vœux pieux et des prières pour ébranler les colonnes de ce temple sacré.

Le discours de M. Legault avait beau être senti, rempli d’espoir, arrosé de nationalisme et habité par un sincère désir de créer de la richesse et de redonner de la fierté aux gens d’ici, il risque de se buter rapidement à des obstacles majeurs. Le vieillissement de la population s’accélère, le manque de main-d’œuvre est décrié dans tous les secteurs et le gouvernement ne veut pas augmenter les seuils d’immigration à cause, dit-il, d’une contrainte d’intégration et de francisation. Comme si ces obstacles n’étaient pas assez gros, il y a aussi cette pénurie de logements qui frappe un peu partout. Ce qui veut dire que même si on fait immigrer beaucoup de travailleurs qualifiés, leur trouver des appartements abordables où poser leurs pénates sera un autre obstacle ?

Comment faire quand beaucoup de médecins omnipraticiens préfèrent aujourd’hui travailler à temps partiel ? Comment tenir les promesses de 37 000 places en garderie quand il faudrait pour cela former 17 800 éducatrices et éducateurs ? Comment mener cette gigantesque promesse sans réduire les services et se mettre à dos une partie de la population ?

L’histoire nous dira si M. Legault va livrer la marchandise ou si, tels les conteneurs chinois qui parviendront difficilement à nous apporter nos bébelles à temps pour Noël, il aura trop de difficulté à faire virer ce gros paquebot pour mener son projet à bon port, et ce, même s’il est porté par une vague de popularité.

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