C’est un métier qu’on attrape comme une maladie incurable. Un métier qui nous appauvrit, nous isole et nous indigne… mais qu’on continue à aimer, car il donne un sens à notre vie et, parfois, il change des vies !

Pour en vivre, moi, j’ai dû collectionner toutes sortes de pancartes pour exploiter mon appartement au maximum. Des pancartes « À louer », « À vendre », « Chambre à louer » et, plus récemment, il y a « Airbnb » qui m’a appris à vivre dans mes valises quand il n’y a plus de projet à l’horizon !

Je croyais être la seule à mener une vie en apnée, et voilà qu’une étude sur « le métier de documentaristes »1 est venue dépeindre la vie de gens, aussi fous que moi, qui mènent cette intenable vie de documentaristes.

L’initiative vient de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) et est menée à l’Université du Québec à Montréal, service des collectivités, une sorte de watch dog pour améliorer notre démocratie en mettant le doigt sur ce qui ne va pas. Mettre des chiffres et des histoires sur la précarité du métier de documentariste pour y remédier en est un.

C’est que l’enfant pauvre du cinéma malgré sa popularité croissante a subi une importante baisse de financement qui a commencé dans les années 2000 avec le gouvernement de Stephen Harper.

L’étude nous propulse dans les témoignages touchants et intimistes de réalisateurs de documentaires et de leurs difficultés à vivre de leur art.

Pour beaucoup, être documentariste est une « identité » qui ne se discute pas, même quand ils doivent travailler dans d’autres domaines en attendant le financement de leurs projets : « Je ne voulais pas avoir à vivre de ce métier-là pour ne pas m’obliger à faire des compromis dans ma pratique documentaire », avoue une documentariste.

Il faut dire que c’est un métier qui nous impose de longues tâches impayées, comme la réflexion et le développement d’idées de projets.

Ce métier est un perpétuel recommencement. Je dis souvent que notre métier n’existe pas, et qu’on doit le réinventer chaque fois qu’on termine un film.

Il prend vie à partir d’une idée, d’une rencontre, d’une lecture… Après, quand l’idée est bien claire et qu’on arrive à la mettre sur papier, arrive l’étape de recherche de financement dans un monde où la concurrence est féroce. « C’est rendu le Loto-Québec : tu gagnes le million ou tu le gagnes pas. Ce n’est pas une carrière, c’est un coup de dés », résume un réalisateur !

Les questions sur les fonds de pension ont fait rire plusieurs des participants. Un luxe auquel ils n’osent même pas penser. Ces travailleurs, souvent autonomes, n’ont habituellement même pas de couverture sociale en cas de maladie ou d’accident de travail.

Les femmes documentaristes sont de plus en plus nombreuses, mais elles sont confrontées à une mentalité sexiste qui perdure dans ce métier « d’hommes ». Je me souviendrai toujours du commentaire d’un réalisateur-journaliste à qui j’avais annoncé que j’avais gagné un prix pour mon premier film. Il m’avait lancé méchamment que de toute façon mon projet a été accepté parce que j’étais juste « cute » ! Un commentaire qui m’avait tant blessée à l’époque !

Fonder une famille pour les femmes documentaristes est un luxe qu’elles ne se permettent pas souvent. À peine quatre femmes sur 12 rencontrées en entrevue avaient des enfants alors que 11 hommes sur 14 en avaient. Il faut dire que les hommes ne portent pas les enfants et s’en occupent toujours moins.

Et finalement, les témoignages révèlent aussi que la solitude finit par peser lourdement sur ces créateurs de l’ombre qui travaillent souvent seuls de chez eux. Je ne vous apprends rien puisqu’on vient de vivre un confinement. Imaginez toute une vie de travail en confinement !

Je dois avouer que j’ai trouvé bien dommage que l’étude n’ait pas inclus de documentaristes issus de la diversité dans cette recherche. Car il y a un autre monde de défis à découvrir, si ce n’est que de parler de la perception de ce métier et de celui des arts en général par les parents immigrants…

Petite anecdote pour terminer.

Je me souviens du jour où j’avais gagné un Gémeaux, j’avais couru pour le montrer à mes parents. J’avais escaladé les marches par deux comme une petite fille avant d’arriver bien essoufflée. Je leur brandis mon sésame comme ultime preuve que mon métier est important. Ma mère le regarde du coin de l’œil puis continue à rouler sa galette, puis me demande, espiègle : « Est-ce que c’est de l’or ? On pourrait au moins faire faire des bijoux ! » « Non, maman, c’est un prix important », que je lui réponds. Elle enchaîne, bien déçue : « Mais qu’est ce que tu vas faire avec tous ces tas de ferraille sur ta cheminée ? »

Mon père encore plus sarcastique m’avoue que la forme de ce machin n’est pas mal… pour assommer un voleur au cas où ! Il ajoute : « J’espère que maintenant, tu vas chercher un vrai job. »

Je vous le dis, en plus de faire un métier difficile et ingrat, il ne faut pas compter sur des parents immigrants pour vous encourager !

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