On connaît bien au Québec tous les débats entourant la clarté référendaire. À cet égard, la question posée par le gouvernement de Jason Kenney visant à supprimer l’article 36 (2) de la Constitution canadienne concernant la péréquation répondait à cette nécessité de clarté. Les premiers résultats préliminaires laissent croire à une victoire forte du Oui à Calgary (58 %), plus importante encore dans les villes du sud de la province. Il faudra attendre le 26 octobre prochain pour connaître les résultats officiels. En revanche, l’exercice référendaire albertain montre déjà que la clarté d’une question peut produire, paradoxalement, de la confusion sur un sujet aussi complexe que celui de la péréquation.

Dans cette campagne qui n’a pas eu lieu, on peut dégager trois camps. Le premier camp, celui des « purs et durs », affirme, depuis quelques décennies maintenant, que l’architecture institutionnelle du Canada obéit à des principes de représentation et des mécanismes de redistribution de la richesse albertaine en faveur des provinces comme le Québec.

Selon le point de vue de ceux qui étaient pour un Oui fort et ferme, la péréquation est presque irréformable et elle est en fait la pointe de l’iceberg d’un problème plus profond, celui que l’Alberta est victime d’un désavantage fiscal systémique. L’Alberta contribue, mais ne reçoit jamais rien et, qui plus est, des provinces comme le Québec et la Colombie-Britannique font preuve d’ingratitude en s’opposant à la construction d’oléoducs.

Ainsi, l’économiste Jack Mintz affirme que le principe de la péréquation inscrit dans la Constitution « n’a aucun sens », comme il l’a écrit encore récemment dans le National Post. Un autre, Ted Morton, ex-ministre des Finances, en profite pour réactiver la critique du bilinguisme, qui serait taillé sur mesure, devinez pour qui : le Québec.

Sans partager cette approche, il y a tous ces Albertains qui, d’accord avec le principe de la péréquation, se disent que celle-ci devrait être revue. Comment et quand ? On ne sait pas trop. Mais étant donné que l’Alberta contribue grandement à la richesse de l’ensemble du pays, des changements se révèlent nécessaires afin de tenir compte de la nouvelle donne économique, la province étant aux prises avec des difficultés et changements de son économie, notamment du côté de Calgary. Au moment où se multiplient les prédictions annonçant un avenir sombre au secteur énergétique, il serait donc temps d’envoyer un message que la péréquation est un problème. Ce sont des « ninistes » qui ne sont ni pour le retrait de la péréquation ni pour le statu quo.

Mais il y a aussi ceux qui, représentant le camp du Non, affirment que c’est le référendum, qualifié de « ridicule » par l’ex-maire Naheed Nenshi, qui n’a guère de sens.

Un autre économiste albertain bien connu (Trevor Tombe) avance que l’Alberta reste une province riche, ce qui explique pourquoi elle ne reçoit pas de péréquation et que le gouvernement albertain dispose de tous les outils pour se sortir du marasme. Le problème ne serait donc pas la péréquation, mais la volonté politique défaillante de procéder aux nécessaires réformes, celles de diversifier l’économie et, surtout, de diversifier les sources de revenus en adoptant, par exemple, une taxe de vente provinciale, aussi modeste soit-elle. Pour ce camp, le référendum constituait un exercice de distraction servant notamment à camoufler l’incurie démontrée par Jason Kenney dans la gestion de la COVID-19.

C’est en ayant en tête ces groupes qu’il faudra décoder et interpréter les résultats officiels du référendum et examiner avec attention le taux de participation ainsi que la distribution régionale du vote en faveur de la proposition. Au lieu de dégager une position commune claire, le résultat pourrait même, on ne peut encore l’exclure, fragiliser la position déjà précaire de Jason Kenney.

C’est qu’au-delà de la force du Oui, le grand problème de cet exercice référendaire réside dans la personne même de Jason Kenney.

Lorsque cette proposition référendaire a été avancée, Kenney pouvait surfer sur la convaincante victoire d’avril 2019 et les 55 % d’électeurs albertains qui avaient voté pour les conservateurs-unis. Maintenant, les conservateurs paraissent désunis et Kenney est fortement impopulaire avec seulement 22 % d’approbation, selon la firme Angus Reid.

Dans ces conditions, le rapport de force que le premier ministre espère dégager avec son levier référendaire pourrait s’évanouir advenant un accueil poli, mais réservé de la part d’Ottawa. Tant du point de vue de Justin Trudeau que des premiers ministres des provinces, la question qui risque de dominer est plutôt celle des transferts en santé, pas celle de la péréquation, qui n’a pas été un sujet débattu lors de la dernière campagne fédérale. Peu importe le résultat final de ce référendum, celui-ci pourrait être insuffisant pour faire bouger significativement les libéraux. Si tel est le cas, alors Jason Kenney, qui espérait redresser sa popularité déclinante avec un résultat référendaire fort, pourrait se voir accuser de ne pas remplir ses engagements.

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