Ah, les îles Vierges britanniques !

Quel paradis pour les pirates des temps modernes. Il faut dire que l’endroit n’a pas changé de vocation depuis très longtemps. Rappelons ici que c’est Christophe Colomb qui a « découvert » ces îles pendant son deuxième voyage, en 1493. On pense d’ailleurs que c’est lui qui les aurait nommées en l’honneur de sainte Ursule, qui est au centre de la légende des onze mille vierges. Ne me demandez pas ici de vous expliquer cette légende. C’est une histoire aussi tordue et invraisemblable que les montages financiers qui permettent aujourd’hui à certains riches de cacher leur argent dans les îles Vierges.

Je dois par contre souligner que leur histoire est liée au banditisme planétaire depuis très longtemps. Après un passage sur ces bouts de roche perdus dans les Antilles, les Espagnols décamperont rapidement vers d’autres cieux plus cléments. Évidemment, ces premiers bandits ont eu le temps d’exterminer physiquement les Arawaks, les Ciboneys et les Caraïbes, mais surtout en soumettant dramatiquement le système immunitaire de ces peuples aux microbes venus d’Europe.

Les Espagnols partis, ces îles deviendront rapidement le refuge de tous les boucaniers, pirates et autres malfrats des mers qui sillonnaient cette partie des Antilles dans le but de déposséder les navigateurs de leurs avoirs.

Disons que ces bandes de pirates originaires de France, d’Angleterre et de Hollande, et dont fera partie le célèbre Edward Teach, mieux connu sous le nom de Barbe Noire, y étaient déjà au début du XVIIIsiècle ce que les chenapans qui y tiennent des sociétés écrans sont aujourd’hui. Ces 35 chefs d’État, 330 politiciens et nombreux artistes et sportifs fortunés cités dans les Pandora Papers sont les nouveaux corsaires de la finance. Ils forment une association de malfaiteurs qui attire toujours plus d’adhésions. En cause, beaucoup de personnes ne peuvent tout simplement pas résister à cet appel à la goujaterie financière que leur déroulent les paradis fiscaux, dont les îles Vierge et les îles Jersey.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe Couillard

Ah, la vache de race Jersey !

Le fils de fermier et grand amoureux des bovidés que je suis voudrait vous dire que malgré sa petite taille, la Jersey, cette race de vache originaire de l’île du même nom, est très prisée au Québec pour son lait riche en gras. La deuxième raison pour laquelle on adore la Jersey, c’est son incroyable pouvoir de séduction sur les humains. Elle a une douceur et des yeux qui peuvent amener même des gens qui maudissent publiquement les bovins à céder à la tentation de la caresser. Souvenons-nous des rapprochements entre Philippe Couillard et les Jerseys. Quand on a découvert que le médecin y avait placé une partie des sommes provenant de ses activités saoudiennes de 1992 à 2000, l’indignation était générale et on voulait des explications. Il avait raconté avoir gardé ce compte ouvert dans ce territoire lointain pour protéger son contenu de ses propres élans de radicalisation consumériste dans les épiceries. Autrement dit, il voulait éviter de puiser dedans pour son alimentation. Pourtant, ne nous avait-il pas dit qu’on pouvait très bien faire son supermarché avec 75 $ par semaine ? Avec une telle frugalité, et ses 600 000 $ dans les paradis fiscaux, il en avait pourtant pour 8000 semaines d’épicerie, soit plus de 160 ans de commandes. Peut-être même plus avec les coupons !

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Villeneuve

Ah, le panier de services !

Il commence à coûter cher dans nos sociétés. Surtout depuis qu’une certaine grande entreprise cherche par tous les moyens à éviter de s’acquitter de sa part du fardeau fiscal. Quand les politiciens nous disent que notre panier de services est trop lourd, on devrait être nombreux à répondre que c’est normal, parce que les plus forts ne veulent plus pousser. Pour cause, il y a une autoroute qui unit désormais le nuage informatique et ces paradis, et ce ne se sont pas les anges ailés qui sont les messagers de ce ciel. Ce sont plutôt de puissants fiscalistes et autres spécialistes de la grande finance qui travaillent à brouiller la frontière entre ce qui est économiquement légal et éthiquement acceptable. Une fois le coupable démasqué, il doit s’entourer de stratèges en gestion de crise pour l’aider à encaisser le choc médiatique et blanchir sa réputation.

Même le roi Abdallah a trouvé sa façon de justifier ses achats de 14 propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni pendant qu’une partie des Jordaniens croupissaient dans la grande misère.

Cette grande hypocrisie politique planétaire, qui consiste à s’insurger à chaque révélation sur les paradis fiscaux, à promettre de s’attaquer au fléau et à tout oublier une fois la pression médiatique descendue, est devenue insupportable. En plus, à quoi ça sert de s’attaquer aux petits symptômes quand les signes de septicémie sont bien tolérés dans nos sociétés ? Les Panamá Papers de 2016, les Paradise Papers en 2017 et les Pandora Papers de 2021 ne sont que des symptômes des effets délétères de la mondialisation des économies. Ce système financier transplanétaire est un haut lieu d’aménagement de tunnels qui permettent de faire voyager les fortunes à l’abri des fiscalités nationales. Pourquoi la présence de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qu’on aime bien appeler notre bas de laine, dans les Paradise Papers n’avait-elle pas suscité plus d’indignation ici que le cas de Jacques Villeneuve dans les Pandora Papers ? Pensons aussi au gigantisme et à la puissance des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), qui les amènent à imposer leurs lois aux législateurs et dont le bras de fer qui s’est joué entre Google et le gouvernement australien est un édifiant exemple. Cette entreprise s’est engagée sans gêne dans une campagne d’intimidation du gouvernement australien pour éviter de payer ce qu’on lui réclamait.

Avec le néolibéralisme, le temps où une certaine grande industrie s’acquittait de sa juste part du fardeau fiscal semble bien loin. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où c’est ce pouvoir économique qui télécommande très souvent le politique, et non l’inverse. Pour optimiser les profits qui ne sont jamais bien partagés, les méthodes de ces géants incluent la diabolisation du syndicalisme, l’apologie de l’immigration massive pour mieux exploiter les travailleurs vulnérables et la négation des frontières des nations et des appartenances culturelles.

Évidemment, toutes ces visions postnationales plus opportunistes qu’humanistes sont enrobées d’un sirupeux pseudo-discours d’ouverture à l’autre et de tolérance.

Qui est plus dangereux ? Un Jacques Villeneuve manigançant pour optimiser sa fiscalité ou les GAFAM qui tordent la main aux gouvernements pour ne pas leur donner une miette de leurs gargantuesques bénéfices ?

Il est vrai que Jacques Villeneuve a des comportements de raclure fiscale condamnable, mais son cas est bien anecdotique comparativement à ce que font légalement ces gigantesques entreprises. Même s’il a prétendu ne pas avoir quitté le Québec pour éviter la lourdeur fiscale, il a choisi ouvertement de fricoter avec Monaco, Andorre et la Suisse pour cette raison. La Presse nous apprenait même en 2013 qu’il s’était acheté un penthouse à Montréal par l’entremise d’une société des îles Vierges britanniques. Il n’est donc pas surprenant de le voir servir de visage dans cette escroquerie, là où les GAFAM sont plus difficiles à personnifier à l’écran.

En dehors de l’évasion fiscale tant décriée, il y a un autre effet pervers de ces révélations sur le plan sociétal. Quelle est la théorie la plus populaire chez les complotistes déjà ? La « Grande Réinitialisation », ou « Great Reset ». Vous savez, cette idée qui veut que l’élite mondiale cherche à abolir les frontières et asservir l’humanité. Beaucoup de disciples de cette mouvance pensent même que la COVID-19 est une manigance orchestrée par l’élite planétaire pour achever cette Grande Réinitialisation. Au-delà du système de tromperie économique, toutes ces révélations sur ces paradis fiscaux servent aussi à donner du fioul à ces croyances qui se mondialisent. En fait, et aussi antinomiques semblent-elles être, ces révélations donnent à la fois du carburant aux mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, qui semblent de plus en plus se chevaucher, pour ne pas dire se confondre. Même si Villeneuve est un vilain, si on veut vraiment attraper le taureau par les cornes, ce sont les dérives du capitalisme, du néolibéralisme et du libre-échange qu’il faut revoir en profondeur.

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