J’ai récemment participé à la visite virtuelle d’un pensionnat autochtone1. Les voix de témoins racontant leurs souvenirs d’enfants pensionnaires du Mohawk Institute nous ont accompagnés pour faire parler les murs de ces lieux lugubres. Un voyage dont on ne sort pas indemne et qui nous fait mesurer toute la gravité de ce que les enfants autochtones ont subi quand l’Église et le gouvernement de l’époque se sont donné la mission d’arracher « le sauvage » en eux… parfois au détriment de leur vie !

La visite commence dans les couloirs où les souvenirs des cinq témoins se bousculent. Leurs voix de sexagénaires se transforment en chuchotements d’enfants. On pouvait sentir leur présence, leurs peurs, leurs cris, et parfois même leurs rires, car les enfants rient même dans les pires endroits et dans les pires situations. Puis, notre imagination s’est mise à reconstituer les images de l’horreur.

On s’imaginait les petits doigts de Whitney trayant rapidement les vaches. C’est qu’il devait en traire 20 chaque matin. Les garçons passaient leurs matinées à traire les vaches des fermes alentours et à ramasser des centaines d’œufs, mais ils n’avaient jamais goûté au lait frais et aux œufs qui étaient destinés à la vente. Ils n’avaient droit qu’au lait en poudre et parfois aux abats en guise de viande.

Dans la grande cafétéria, ça sentait déjà le porridge (bouillie). C’est qu’un des témoins nous en a tellement parlé de cette bouillie qu’il détestait ! C’était le repas de chaque matin : du porridge, appelé aussi « mash » (purée), si bien que, dans la bouche des enfants, la cafétéria était devenue le « mash hall ». Lorsqu’ils ne terminaient pas leur ration de « mash », l’établissement continuait à la leur resservir jusqu’à ce qu’ils la mangent, même quand elle était avariée. Affamés et résignés, les enfants finissaient par mettre de côté les vers et avaler leur répugnante bouillie ! Ce qui a fait dire à l’un des témoins, aujourd’hui âgé de 65 ans, que même l’odeur du porridge lui était encore insupportable !

Toujours dans ce « mash hall », il arrivait souvent qu’un enfant en pleurs défile honteux et nu avec un drap souillé en guise de couche… C’était l’humiliante punition des enfants à qui il arrivait de souiller leurs draps, durant leur sommeil !

Un autre témoin se souvient des essais de médicaments sur les enfants. Une procédure conçue méthodiquement : on séparait les enfants en deux groupes et on faisait les tests sur le premier mais pas sur l’autre. Un groupe tombait malade, un autre groupe non. Ils étaient soumis à des traitements expérimentaux, exactement comme s’il s’était agi de souris de laboratoire !

La visite continue. Entre deux couloirs qui se fermaient par des portes à chaque extrémité, un témoin se souvient d’une voix chevrotante : « Le soir, pour tuer l’ennui, les “éducateurs” venaient nous sortir de nos lits et organisaient des bagarres entre nous jusqu’au sang… les “combattants” qui perdaient devaient nettoyer toutes les taches de sang avant de retourner se coucher… comme si de rien n’était. »

La visite de la buanderie avait rappelé d’horribles souvenirs à une des témoins. Les filles y passaient beaucoup de temps à laver le linge de tout le monde, y compris celui des gens des fermes alentour. Les recoins cachés de ces lieux humides et bruyants étaient le lieu de prédilection pour les agressions sexuelles. Une sexagénaire, ex-élève du pensionnat, dira que les agresseurs choisissaient toujours des lieux bruyants pour commettre les sévices. Le bruit des machines et de l’eau camouflait les cris de l’horreur.

La salle de bains des filles était grande, il y avait trois petites baignoires pour 30 filles et une seule serviette pour s’essuyer. Les pensionnaires se battaient sous les regards « amusés » des religieuses pour réussir à y aller en premier et profiter de la chaleur de l’eau et de la serviette sèche. Les plus grandes et les plus fortes s’imposaient en premier… les plus petites et les plus faibles prenaient leur bain en dernier, dans la même eau devenue glacée et sale ! Une pensionnaire se souvient comment elle devait essorer à plusieurs reprises la grande serviette pour l’utiliser en dernier.

Vous comprendrez que dans ces conditions, l’éducation n’était vraiment pas la priorité dans ces pensionnats ! Les enfants travaillaient plus qu’ils n’étudiaient. Un témoin raconte qu’il était en 4e année du primaire à son arrivée au pensionnat et qu’après cinq ans, il était en 6e année !

La visite se termine dans le grand hall où les enfants passaient plusieurs heures par jour sans aucune activité… pour que le personnel se repose ! Arrachés de force à leurs parents, plusieurs des témoins, même à un âge avancé, se souviennent du manque d’amour dont ils souffraient. Il y en avait qui, durant 20 ans, n’ont jamais entendu les mots « je t’aime » !

Une image de ces témoignages m’a bouleversé. Dans le grand hall de l’attente, quand les plus petits qui se souviennent encore de leurs mères pleuraient, les plus grands les soulevaient vers le plafond et leur demandaient de se coller aux tuyaux chauds puis d’imaginer qu’ils étaient dans la tiédeur des bras de leurs mères pour calmer leurs pleurs !

De ce voyage au bout de nous-mêmes, d’où on ressort avec plein de colère, c’est l’animatrice qui nous calme et qui nous apprend qu’au lieu de ressentir de la colère, la façon des autochtones est de se poser la question : What would the peace maker say ? Que ferait l’homme sage ?

1Ce véritable travail de mémoire est une initiative du Woodland Cultural Centre, créé en octobre 1972 sous la direction de l’Association of Iroquois and Allied Indians à la fermeture du Mohawk Institute Residential School. Le Woodland Cultural Centre a pour mission de préserver et de promouvoir l’histoire, l’art, la langue et la culture indigènes.

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