Les fonctionnaires fédéraux pourront invoquer leurs convictions religieuses pour se soustraire à l’obligation vaccinale. Néanmoins, la conviction personnelle ne serait pas un argument recevable, selon cette nouvelle consigne. Le problème est qu’on ignore ce qu’on entend ici par conviction personnelle. S’agit-il de la liberté de conscience ?

Si tel était le cas, il faudrait rappeler que la liberté de conscience englobe aussi la non-croyance religieuse, ce qui signifie qu’une autre forme d’objection de conscience pourrait être invoquée par les fonctionnaires qui refusent d’être vaccinés (préférence pour les médecines alternatives, conviction idéologique ou autre).

Dans le cas contraire, l’État canadien faillirait à son devoir de neutralité, lequel suppose qu’il ne devrait ni favoriser ni défavoriser la croyance ou la non-croyance religieuse dans ses rangs.

Par ailleurs, il est important de préciser que les convictions politiques constituent également un motif de discrimination interdite et qu’il serait difficile de démontrer en quoi une personne qui refuse le vaccin en se basant sur son idéologie religieuse aurait préséance sur une personne qui invoquerait une idéologie politique.

À moins que la conviction personnelle ne renvoie à la notion de « croyance sincère », introduite dans la jurisprudence en 2004 avec l’affaire des Souccahs, lorsque la Cour suprême a conclu que les demandeurs d’accommodement pour des motifs religieux ne sont pas « tenus de prouver l’existence de quelque obligation, exigence ou précepte religieux objectif. C’est le caractère religieux ou spirituel d’un acte qui entraîne la protection, non le fait que son observance soit obligatoire ou perçue comme telle ».

Rappelons que cette affaire opposait des copropriétaires juifs orthodoxes, qui avaient installé des cabanes temporaires (souccahs) sur leur balcon (pour se conformer à leurs obligations religieuses) au syndicat Northcrest, qui leur demandait de démanteler ces installations, pour se conformer au règlement de copropriété.

Si la conviction personnelle fait référence à la notion de croyance sincère, il faudrait alors mettre en place un dispositif destiné à évaluer au cas par cas la sincérité des fonctionnaires qui souhaitent déroger à l’obligation vaccinale.

Outre les limites de ressources et de temps, cette hypothèse soulève des problèmes de faisabilité, de compétence et de légitimité : qui décidera de la sincérité du demandeur, sur quelle base, quel critère et en vertu de quel pouvoir ?

Les gestionnaires ? Une autorité religieuse ? Va-t-on demander aux fonctionnaires, des agents de l’État, de jurer sur l’honneur ? Ou la main sur un livre sacré ?

La liberté de conscience inclut le droit de changer de religion au cours de sa vie : à moins de pouvoir démontrer le caractère fantaisiste et la mauvaise foi du demandeur, comment refuser une demande émanant d’un fonctionnaire qui vient d’embrasser une nouvelle religion ?

Le diable est dans les détails

Revenons au concept d’accommodement raisonnable, ses contours et ses limites.

Cette mesure juridique permet à une personne de réclamer une dérogation à une norme, une règle ou une pratique, qui aurait des effets discriminatoires sur elle : l’obliger à choisir entre sa religion et son travail ou sa santé, sa grossesse et une promotion, limiter son accès à des emplois ou des services à cause de son handicap, etc.

Ainsi, un patient adulte pourrait refuser une transfusion sanguine susceptible de lui sauver la vie, si cette pratique contrevenait à ses croyances religieuses. Si toutefois la personne en question était un enfant n’ayant pas atteint l’âge du consentement, les droits du parent seraient temporairement suspendus et on procéderait à la transfusion, la liberté des parents en matière d’éducation n’étant pas un droit de vie ou de mort sur leurs enfants.

L’obligation d’accommodement pour des motifs religieux n’est donc pas absolue : elle est limitée par la notion de contrainte excessive. Cette contrainte peut prendre diverses formes, notamment une atteinte réelle aux droits des autres employés ou citoyens, une atteinte à la sécurité d’autrui, voire au bien-être général.

Pour assurer le respect des droits des uns et la protection de la santé et sécurité des autres, il faudrait permettre aux collègues et aux citoyens d’identifier qui est vacciné et qui ne l’est pas, et de décider en connaissance de cause de faire affaire ou non avec ces personnes, lorsque les mesures sanitaires ne sont pas optimales (distance, contacts physiques, etc.).

Cela suppose que les individus non vaccinés acceptent à leur tour de faire les compromis nécessaires pour articuler leurs droits et les droits d’autrui, une exigence qui soulèvera immanquablement des enjeux de confidentialité et de droit à la vie privée.

Mais la question de fond est d’un autre ordre : en matière de droits et libertés, on ne peut pas isoler un facteur de discrimination et le placer en haut de la hiérarchie des discriminations interdites, ériger un droit en absolu et laisser entendre qu’il suffirait de l’invoquer (la religion, la liberté d’expression et de conscience ou tout autre droit), pour se soustraire aux exigences éthiques du vivre-ensemble.

Quand l’argument vient des lobbys religieux, c’est de bonne guerre, mais quand il est utilisé par l’État, censé protéger les deux manifestations de la liberté de conscience (religieuse et non religieuse), c’est le principe même de la séparation du politique et du religieux qui est en jeu.

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