L’auteur réagit à deux textes publiés le 10 septembre dans La Presse concernant les fondations charitables.

« Quelqu’un s’assoit à l’ombre aujourd’hui parce que quelqu’un a planté un arbre il y a longtemps. » — Warren Buffett

J’ai été étonné par l’opinion de Brigitte Alepin dans La Presse du 10 septembre sur ce qu’elle appelle les « fondations privées pas charitables». Mme Alepin dénonce un soi-disant « scandale fiscal ». Elle reproche essentiellement deux choses à ceux qui créent et dotent des fondations. D’abord, les avantages fiscaux que cela leur procure ; ensuite, « qu’il soit impossible de toucher au capital parce que, ultimement, ils veulent que leurs fondations soient perpétuelles […] ».

Mme Alepin souhaite par ailleurs que le lecteur s’implique dans l’actuelle consultation sur la somme minimale que les fondations de bienfaisance devraient consacrer chaque année à des causes. Je l’oblige dans ces lignes.

D’abord, je note que l’avantage fiscal accordé au(x) fondateur(s) d’une fondation est exactement le même que celui accordé à tout contribuable canadien qui fait des dons de charité, petits ou importants : crédit d’impôt pour un particulier ; déduction du revenu pour une société. Petit don, petit avantage ; gros don, gros avantage. Pour un particulier québécois qui donne 1500 $ sur un revenu imposable de 50 000 $, le crédit d’impôt représente 50,6 % du don ; le taux maximal de 54 % évoqué par Mme Alepin quand un milliardaire dote une fondation de plusieurs dizaines de millions ne me scandalise donc pas. D’autant qu’à ce niveau de philanthropie, l’avantage fiscal annuel est plafonné, et ne peut se concrétiser que sur plusieurs années.

Je ne me scandalise pas, non plus, du désir des philanthropes de voir leur fondation leur survivre. C’est, à mon sens, manifester cette vision et ce parti pris pour l’avenir qui sont des traits partagés par beaucoup d’entrepreneurs. Pour assurer la pérennité, voire la perpétuité de leur impact philanthropique, les fondations ne peuvent, en toute logique, dépenser plus que le rendement annuel de leur capital ; un peu moins, en fait, car le capital doit augmenter chaque année pour garder sa valeur réelle.

La règle de base a été formulée dès 1895 par Alfred Nobel, dans le testament qui créait les prix portant son nom : « constituer un fonds, dont [les intérêts] seront distribués annuellement en prix à ceux [et celles] qui auront procuré les plus grands bénéfices à l’humanité ». Les héritiers de Nobel ont contesté cette disposition. On doit savoir gré aux tribunaux de l’époque d’avoir eu de la vision et de les avoir déboutés.

Les milliards accumulés dans les fondations ne sont pas plus scandaleux que les milliers de milliards accumulés dans les caisses de retraite publiques, privées et autres REER, eux aussi ayant donné lieu à de substantiels avantages fiscaux.

Un exemple : la Fondation McConnell, de Montréal. Créée en 1937, elle fait toujours des dons, près de 85 ans plus tard, sans faire de nouvelles collectes de fonds significatives – sans, donc, générer de nouveaux avantages fiscaux.

Quel est donc le taux de dons annuels qui permet à une fondation d’assurer sa pérennité ? Je n’ai pas la réponse à cette question. Mais comme une fondation de bienfaisance doit avant tout préserver son capital, je sais que ce taux doit être conservateur – et être assez stable pour permettre aux fondations de planifier à long terme.

La Fondation Saputo

Le même jour, le 10 septembre, la section Affaires de La Presse contenait un article dont le titre distille tout l’esprit : « Généreuse ou intéressée, la Fondation Saputo ? » 2.

Je n’ai aucun lien direct ou indirect avec la famille Saputo ni avec ses entreprises – sinon que la Fondation donne généreusement à HEC Montréal, où j’enseigne le management.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Lino Saputo et Mirella Saputo, de la Fondation Mirella et Lino Saputo, en 2019

Ce que j’ai écrit sur les fondations en général s’applique bien sûr à la Fondation Saputo. En particulier quand on note que le manque à gagner du gouvernement associé aux avantages fiscaux utilisés par les Saputo et leurs entreprises aurait pu servir à payer des services sociaux, on omet de souligner que l’argent net effectivement versé par les Saputo est en majeure partie consacré, année après année, à financer des institutions de santé et des établissements d’éducation – deux responsabilités étatiques au Québec. Là où certains voient une ponction, je vois plutôt l’injection de fonds supplémentaires dans la collectivité.

Quant aux faits allégués ou évoqués dans l’article, je ne prétends pas pouvoir porter un jugement. Je note toutefois qu’ils reposent entièrement sur de l’information disponible publiquement – un signe de saine transparence, ce qui me semble être un excellent début…

En conclusion, je crois fermement que les fondations, comme toutes les sociétés de bienfaisance, doivent faire l’objet de surveillance quant à l’usage des fonds qu’elles reçoivent des donateurs ou, par l’entremise de déductions fiscales, des contribuables canadiens. Mais ce serait une erreur que d’imposer aux grands philanthropes des règles fiscales moins avantageuses qu’à vous et moi ; ce serait une erreur plus grave encore de leur imposer des seuils de déboursements qui mettent leur pérennité en péril. Ne tuons pas la poule aux œufs d’or…

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