Le mardi 14 septembre, à la radio, le DPatrick Bellemare, chef des soins intensifs de l’hôpital du Sacré-Cœur, affirmait être souvent témoin d’un changement de ton chez les sceptiques qui, une fois sur la civière, exprimaient des regrets à l’égard de leur refus de la vaccination. Comme quoi, une fois qu’on a un tube dans la gorge, la perspective change.

La COVID-19 occasionne des souffrances réelles, mais tant qu’on ne les a pas vécues, ou vécu quelque chose de similaire, c’est dur de se faire une idée de ce qu’elles représentent.

Il y a quelques mois, je n’avais aucune idée, moi non plus, de ce que ça voulait dire, une hospitalisation. Je prends maintenant la mesure de ce que ça a comme impacts, physiquement et psychologiquement, de traverser ça.

Ce qui suit, c’est le récit que j’ai écrit quelques semaines après ma sortie de l’hôpital du Sacré-Cœur à la suite d’une fasciite nécrosante dans ma jambe gauche, en juillet dernier. J’y suis restée deux semaines et demie, dont une aux soins intensifs.

Je ne suis pas une survivante de la COVID-19, je n’ai pas la prétention d’affirmer que mon histoire est en tous points similaire avec celle des personnes qui le sont. Je souhaite néanmoins la raconter dans l’espoir qu’elle sensibilisera des personnes à faire tout en leur pouvoir pour rester en santé.

Dans ce contexte de pandémie qui est le nôtre, ça veut dire, notamment, recevoir le vaccin.

Mon corps, durant toute la période d’hospitalisation, n’était plus le mien. Les médecins, les infirmières et les préposées en ont fait ce qu’ils voulaient, le perçant d’aiguilles, lui aspirant du sang, le gavant de liquide, l’anesthésiant, le charcutant tant qu’ils le jugeaient nécessaire. Sous l’effet de tous ces actes médicaux, mon corps s’est transformé. Il a gonflé, est devenu lourd et faible, puis a maigri considérablement. Tantôt en douleur, tantôt en sueurs, émanant des odeurs que je ne reconnaissais pas. Je n’arrivais plus à prendre soin de mon corps. Je n’arrivais pas à le lever, à le laver, à l’endormir. J’avais du mal à respirer, ma voix s’est perchée et s’est éteinte un peu pendant plusieurs jours, le temps que l’irritation due à l’intubation se résorbe et que mes poumons retrouvent leur pleine capacité.

Durant un moment, j’ai même eu l’impression de ne plus posséder mes pensées. Ce qu’on m’a injecté, la morphine ou ses dérivés, a rempli ma tête d’images malveillantes qui me suivaient nuit et jour. Je ne dormais plus. Je voyais des formes et des couleurs sur les visages et les murs. J’avais l’impression que le lit avançait, alors qu’il était immobile.

Pendant plusieurs jours, j’ai erré, confuse, dans un espace mental et physique parallèle. Et j’ai croisé pas mal de démons sur mon chemin.

J’étais vivante, mais j’étais loin. J’étais là, mais j’étais autre.

Mon garçon n’a pas aimé cette version-là de moi. Nos retrouvailles, après une semaine aux soins intensifs à être séparés l’un de l’autre, furent étranges. Plutôt froides et tristes. J’avais tant envie de le serrer dans mes bras, mais il me repoussait. On aurait dit qu’il ne me reconnaissait pas, ou qu’il était fâché contre moi. C’était peut-être les deux. Après tout, je suis partie en pleine nuit, sans l’avertir, et je ne suis pas revenue avant un bon moment. À 2 ans, un départ non annoncé, c’est un abandon, une trahison. Mais je pense d’abord que ce que mon garçon rejetait, c’était cette image distordue et souffrante de moi. On a pris des semaines à se retrouver, lui et moi. Sans doute parce qu’il fallait que je me retrouve moi-même, d’abord.

Suis-je passée vraiment près de la mort ? Je ne le sais pas. Je n’ai pas posé la question directement aux médecins. Je sais que j’ai fait un choc septique important, que ma tension est devenue très basse, et qu’on m’a laissée intubée un certain moment après ma première opération. J’ai détesté cette sensation. Un vrai cauchemar. Envahie et prisonnière, je luttais contre l’appareil. J’avais le sentiment perpétuel que j’allais m’étouffer avec ma propre salive.

Retraverser ces souvenirs me rend triste. Je repense à toutes ces personnes inquiètes par ma condition. Je repense à tous ces moments de douleur, d’inconfort, de solitude, d’incertitude, de découragement, de tristesse, de peur. J’en suis sortie maintenant, je suis à la maison avec les miens, je me sens bien. J’ai repris mes activités. Je suis capable de concentrer mes énergies sur ce qui va bien et non sur ce qui a été mal, mais ça m’a pris des semaines avant d’y arriver.

Et encore, il y a des jours où je me coince un pied, une jambe – dans mon cas, dans la porte automatique de l’hôpital du Sacré-Cœur. Tout remonte.

Je revois la salle d’attente des urgences. Je revisite les différentes chambres où on m’a installée. J’entends la ritournelle irritante de la machine qui indique la fin de la perfusion. Je sens les odeurs des draps et des produits antiseptiques qui m’ont tant écœurée durant mon séjour. La texture désagréable de la jaquette d’hôpital sur ma peau toujours moite. Le tiraillement dans mon urètre dès qu’on bouge le sac de drainage de ma sonde urinaire. La brûlante sensation des aiguilles et des cathéters qu’on essaie d’insérer dans mes veines récalcitrantes. La constellation de bleus sur mes bras à la suite de ces multiples injections et tentatives infructueuses. Et le soulagement, immense, les larmes abondantes à ma sortie des soins intensifs, comme si je prenais soudainement conscience de toute l’anxiété qu’ils m’avaient fait vivre.

Et puis il y a ce fort sentiment d’injustice qui m’assaille et qui me met en colère. La maladie m’a bouffé mes vacances en même temps que ma jambe. Elle a bouffé le peu de nature et de jeu dans le bois qu’on avait de prévu cet été, après une année de télétravail. Entendre les récits de vacances des amis ou voir les photos de fleuve et de montagnes défiler sur Facebook attise ma frustration. Et il y a notre jardin et mes fleurs aussi, dont j’étais si fière en début d’été. J’aurais pu tout reprendre en main, protéger et dorloter ce qui restait de vivant à mon retour. Il n’était pas trop tard. Mais, lasse, épuisée et anémique, je les ai abandonnés comme je me suis sentie abandonnée moi-même. Mon jardin et mes bacs à fleurs sont à l’image de cet été que la maladie m’a volé : secs et tristes. Ils sont devenus le symbole de mon malheur, et c’est lui que je cultive en délaissant mes plants de tomates.

Parce que c’est ça, au fond, le message. Un passage à l’hôpital, c’est une pause forcée dans une vie, et la vie, faut-il le rappeler, passe comme une fusée. Même si on en sort, l’hôpital, lui, ne nous quitte pas toujours aussi facilement. Il laisse des traces. Il nous force à plonger en nous, à rebrasser les cartes, à requestionner nos convictions, nos valeurs, nos certitudes. Et on en ressort souvent avec celle-ci : être en santé, c’est une chance. La plus belle des chances. Pourquoi donc la risquer ?

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