L’auteur répond à la réaction de Louise Mailloux publiée le 16 septembre, « L’envahissement de l’islam politique n’est pas une psychose ».

Louise Mailloux croit que nous courons le risque de voir l’islam politique s’installer chez nous. Parmi les pièces à conviction, il y aurait les attentats terroristes, la présence de certains groupes radicalisés et l’endoctrinement salafiste présent dans certaines mosquées. À partir de ces faits, elle tire la conclusion qu’il faut craindre l’islam politique. Cette inférence est-elle valide ?

La définition standard de l’islam politique est qu’il s’agit d’une idéologie visant à fonder un empire politique musulman. C’est un courant ayant pour objectif le remplacement des États de droit par des régimes islamistes fondés sur la charia. Cela risque-t-il de se produire en Occident et en particulier au Canada ?

Cette suggestion est entretenue alors même que l’État islamique envisagé pour l’Irak et la Syrie s’est effondré comme un château de cartes, notamment grâce à la vaillance d’une armée de terre kurde, et donc composée de soldats qui sont pour la plupart musulmans. Les mouvances islamo-conservatrices peinent d’ailleurs à s’imposer au Maghreb. On peut même affirmer que la Tunisie s’en est à peu près complètement affranchie.

L’envers de la médaille

On craint l’arrivée imminente de l’islam politique depuis le 11 septembre 2001, mais il n’existe même pas de partis politiques islamistes en Occident. Selon Jacques Baud (Gouverner par les fake news, Max Milo 2020), les attentats terroristes ne visent en fait qu’à inciter les pays ayant une présence militaire au Moyen-Orient à quitter la région. Cela a naguère fonctionné avec l’Espagne qui a retiré ses troupes d’Irak après les attentats terroristes de Madrid en 2004. Sur la base de ce précédent, des individus ont commis des attentats avec l’espoir que cela puisse fonctionner ailleurs aussi.

Les attentats terroristes ne seraient donc pas la preuve d’une tentative d’envahissement de l’islam politique. Il s’agirait plutôt d’une réaction contre l’envahissement du Moyen-Orient par l’Occident.

Les attentats terroristes commis par des extrémistes islamistes ne se comparent en rien aux violences perpétrées contre les musulmans dans le monde. Les Palestiniens subissent constamment les sévices d’un État israélien. Les Rohingya sont opprimés en Birmanie. Les musulmans du Cachemire sont opprimés par l’État indien, tout comme l’est aussi la minorité musulmane au sein même de l’Inde. Les Ouïghours sont sans doute opprimés en Chine et les Tchétchènes en Russie. Même les victimes de l’État islamique (Daech) sont principalement musulmanes.

Louise Mailloux évoque l’actualité du procès visant les auteurs des attentats ayant fait plus d’une centaine de victimes à Paris en 2015 et le 20e anniversaire des 2977 morts du World Trade Center, mais l’actualité est aussi marquée par une fin de campagne américaine en Afghanistan qui était loin d’être une partie de campagne : 47 000 morts de civils, 66 000 soldats et policiers afghans tués, 51 000 talibans et autres rebelles tués au cours des 20 dernières années. Du côté occidental, près de 4000 soldats étasuniens et 1100 soldats d’autres pays de l’OTAN sont morts.

Ce carnage absolu, rappelons-le, fut mené parallèlement à des interventions militaires en Irak ayant entraîné la mort de plus d’un million d’Irakiens depuis 1993. Cela s’ajoute aux interventions américaines, françaises et britanniques en Libye et en Syrie, à l’appui américain de l’Arabie saoudite au Yémen, aux bombes qui tombent au Pakistan et aux drones qui pleuvent en Somalie.

Le véritable danger est l’islamophobie

Des actes terroristes isolés ont eu lieu au Canada, mais rien ne nous autorise à parler de l’entrée en force du terrorisme islamique et encore moins d’un envahissement de l’islam politique. Les citoyens culturellement associés à l’Islam ne forment qu’une très faible minorité de 3 %. Plusieurs sont athées et les croyants ne sont pas toujours pratiquants. Parmi les personnes pratiquantes, certaines portent des signes religieux, d’autres non.

La présence du hijab dans les médias frappe l’imaginaire, mais certains ont l’imagination débordante. Ils voient dans le foulard l’étendard de l’islam politique !

Au XIXe et XXe siècle, une pathologie collective a conduit des peuples entiers à s’en prendre à la « juiverie », et ce, bien que ce n’était pourtant rien de plus qu’une vision de l’esprit, tout d’abord xénophobe, puis antisémite, et enfin, raciste et génocidaire. On se souviendra du « péril jaune » que tant de gens appréhendaient à cause de la surpopulation de la Chine. On peut en outre se rappeler l’inquisition maccarthyste aux États-Unis pourchassant sans relâche les communistes. Or, depuis le 11 septembre 2001, la cible privilégiée est l’islam, une religion que l’on associe très rapidement au terrorisme. On lève d’un cran additionnel la menace lorsque l’on annonce en plus la montée d’un mouvement visant à créer des États islamiques en Occident.

Cette façon d’enflammer les esprits peut avoir eu un effet sur la hausse des crimes haineux commis contre nos concitoyens musulmans. Elle peut avoir contribué à faire apparaître des groupes d’extrême droite qui s’en prennent aux immigrants. Elle a pu jouer un rôle dans la tête d’un esprit déjà dérangé qui a tué six musulmans à la Grande Mosquée de Québec. À jeter de l’huile sur le feu, on risque de faire advenir une islamophobie généralisée.

Il faut calmer le jeu

Par bonheur, il existe en France autre chose que des propos islamophobes dénonçant « l’islamo-gauchisme », le « communautarisme » et le « séparatisme ». La radicalisation en France s’explique en partie par le passé colonial français ayant sur la conscience notamment un demi-million de morts en Algérie. Des auteurs cherchent à désamorcer les peurs que certains entretiennent de façon parfaitement irresponsable. Il faut en ce sens saluer notamment les contributions de Jean Baubérot, Pascal Blanchard, François Burgat, Jean Chambaz, Christine Delphy, Camille Froidevaux-Metterie, François Héran, Raphaël Liogier, Jean-Luc Mélenchon, Thomas Piketty, Edwy Plenel, Emmanuel Todd, Tzvetan Todorov et Jean-Paul Willaime.

Lisez « L’envahissement de l’islam politique n’est pas une psychose » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion