Fin septembre, comme tous les New-Yorkais le savent, il vaut mieux éviter le quartier de Turtle Bay qui borde l’East River et où se situe l’immeuble des Nations unies. C’est le moment le plus attendu dans l’agenda diplomatique mondial, presque tous les dirigeants de la planète se ruant pour s’exprimer à la tribune de l’Assemblée générale.

Rien de tout cela l’année dernière.

Il n’y a pas eu en 2020 de rencontres impromptues entre chefs d’État ou de gouvernement dans les couloirs trépidants et normalement bondés du siège des Nations unies.

On ne s’est pas non plus émerveillé ou énervé devant les interminables cortèges présidentiels défilant sur la 1re Avenue…

À l’heure de la pandémie de COVID-19, l’Organisation des Nations unies (ONU) avait tenté de s’adapter. Cela a été sinistre.

Les Trump, Macron, Trudeau ou Poutine ont alors brillé par leur absence, se contentant de vidéos préenregistrées.

Ce fut une bien triste façon de célébrer le 75anniversaire de l’organisation internationale. Bien triste façon, oui, mais qui reflète tellement la réalité.

Le poids politique de l’ONU est aujourd’hui quasiment nul. Son secrétaire général n’exerce plus aucune influence sur la scène internationale. Depuis près de 15 ans, aucun des patrons de l’ONU n’a pu ou voulu s’impliquer personnellement dans l’une des grandes crises mondiales.

Le premier mandat d’António Guterres – qui vient pourtant, contre toute logique, d’être reconduit pour cinq ans – a été presque unanimement considéré comme un échec. On ne l’a pratiquement pas entendu lorsque Trump a quitté la COP 21, l’accord sur le nucléaire iranien, l’Organisation mondiale de la santé… Les chefs d’État et de gouvernement actuels sont issus d’une génération qui n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale. Ils ne voient plus l’intérêt de ce genre d’organisation et préfèrent s’exprimer de façon bilatérale ou dans des réunions comme le G20 ou le G7, ou autour d’ensembles régionaux qui regroupent des États avec des intérêts communs ou similaires.

Alors, qu’attendre de cette 76assemblée générale dont la semaine de haut niveau débute ce 21 septembre ?

La pandémie de COVID-19, le racisme, l’intolérance, les inégalités, les changements climatiques, la pauvreté, la faim, les conflits armés et autres fléaux seront évidemment au menu, mais c’est bien l’Afghanistan post-débâcle américaine qui sera le plat de résistance. La prise de parole de Joe Biden va être scrutée à la loupe. Que peut-on sérieusement en espérer ?

Le vieil homme qui, il y a quelques mois, confondait devant les caméras sa petite-fille avec son fils Beau, disparu depuis plusieurs années, semble aujourd’hui plus perdu, plus fébrile que jamais.

Nous avons tous en mémoire son « nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer », prononcé lors de sa déclaration du 26 août au soir, après que deux attentats perpétrés à proximité de l’aéroport de Kaboul auront coûté la vie à 13 militaires américains, deux soldats britanniques et des dizaines de civils afghans.

Ce « nous vous pourchasserons et nous vous ferons payer » qui devait résonner dans le cœur des Américains comme le discours de George W. Bush le 11 septembre 2001 après les attaques d’Al-Qaïda, et qui est tombé dans le vide…

Qu’attendre, donc, de l’allocution de Biden à la tribune de l’assemblée générale ? Prise de parole si attendue, car, si la chute de Kaboul n’est pas celle de Constantinople, son onde de choc, qui n’a pas fini de résonner, n’en est pas moins dévastatrice pour l’Occident et ses valeurs.

Rien. Presque rien à attendre du discours du fragile vieillard de la Maison-Blanche. Dans son allocution, le 46président des États-Unis va sans aucun doute tenter une nouvelle fois de s’abriter derrière l’avis des responsables militaires pour justifier ses erreurs.

Peut-être va-t-il proposer du bout des lèvres d’appuyer le projet onusien de corridor humanitaire qui a pour objectif d’épargner au peuple afghan une crise sans précédent. Des paroles qui seront vite oubliées. N’en doutons pas.

Car lorsque Joe Biden, pourtant président démocrate et donc héritier de la tradition wilsonienne, déclare, après avoir abandonné une population en péril, que son pays n’a plus vocation à verser le sang de ses enfants pour les droits de l’homme et la démocratie, il faut se rendre à l’évidence : la partie est finie et nous sommes entrés dans l’ère de l’Amérique post-Amérique. Une ère ou le mot Amérique qui reflétait autrefois un idéal, qui a pu être synonyme de liberté, d’émancipation et d’espoir pour les peuples opprimés, n’est plus que le nom d’un pays.

C’est cela qui va être officieusement entériné dans les non-dits de cette nouvelle assemblée générale de l’ONU. La fin d’un monde.

Un monde américain, certes, mais un monde qui avait néanmoins permis, sous l’impulsion de Franklin Delano Roosevelt, la création des Nations unies et de son assemblée générale, seule plateforme où certains échanges peuvent encore être organisés, et où un semblant de Parlement du monde existe.

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