J’ai commencé à enseigner le français au secondaire en 1994. À l’époque, fraîchement sortie de l’université, la tête pleine d’idéaux, je m’apprêtais à transmettre mon amour de notre langue maternelle à de jeunes adolescents. Passionnée de grammaire française, dotée d’une patience infinie ainsi que d’une imagination débordante, j’étais convaincue de réussir à instruire mes futurs élèves en tout ce qui a trait au français.

J’ai dû, évidemment, revoir mes aspirations à la baisse devant le peu d’enthousiasme de mes élèves. Soit. Il n’y avait pas là une trop grande surprise ni une tâche insurmontable. Ce qui a été en revanche une immense déception, c’est le peu de rigueur et de cohérence du programme de français.

D’abord, j’ai appris que je ne pouvais pénaliser mes élèves lorsqu’ils faisaient des erreurs de langue en répondant à des questions de compréhension de lecture. Vous avez bien lu ! Sans faire échouer un élève en lecture, ne pouvait-on pas lui signaler efficacement ses erreurs d’accords ? De plus, les jeunes ne sont pas pénalisés pour leurs fautes de langue dans les autres matières. Je me souviens d’une collègue enseignante d’écologie qui devait accepter « pain » comme réponse pour une sorte d’arbre (pin)…

Tout cela m’a amenée à me questionner sur le message qu’on envoie aux jeunes. En effet, le bon usage du français compte seulement à deux moments dans une année scolaire : lors des deux productions écrites obligatoires. (La compétence en écriture est évaluée dans un texte complet seulement deux fois dans l’année.) Dans ce contexte, comment les jeunes peuvent-ils comprendre l’importance de bien écrire leur langue ?

Ensuite, il y a eu des changements subtils dans le programme. Je les ai bien vus, en 25 ans d’enseignement. Les grilles d’évaluation ont été modifiées afin que les élèves passent l’épreuve de français beaucoup plus facilement en 2020 qu’en 1994.

Enfin, la norme dans les écoles est que si un élève de première secondaire échoue seulement en français, il ira quand même en deuxième secondaire et il suivra un cours de français de deuxième. S’il avait échoué à un cours de mathématiques de première, il irait en deuxième secondaire avec des mathématiques de première secondaire.

On considère donc que les mathématiques d’un niveau sont un préalable pour passer au niveau suivant. Pourquoi n’est-ce pas le cas en français ?

Un jeune qui n’arrive pas à accorder ses verbes correctement, qui ne peut tirer l’essentiel d’un texte de 250 mots, pourra-t-il à long terme réussir ses cours de français ? Et je dirais même plus, comment se débrouillera-t-il devant un texte d’histoire ou de sciences ?

Devant tant de risques d’élèves en échec, le ministère de l’Éducation n’a pas eu d’autre choix que de baisser les critères de réussite pour ne pas avouer son incompétence à concevoir un cours de français valable pour les jeunes Québécois et à offrir des conditions propices à la réussite. 1

Alors, quand je vois que la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, souhaite mandater un groupe de travail pour améliorer la maîtrise du français au cégep et à l’université, je tombe des nues. Surtout lorsque je lis : « Elle a qualifié le dossier de “très important” et a rappelé que peu importe la discipline étudiée, la maîtrise du français est essentielle. » 2

Quelle incohérence et, surtout, quelle dépense inutile ! C’est au primaire et au secondaire qu’il faut impérativement repenser les programmes de français et en revoir les exigences. La ministre devrait plutôt secouer son collègue, Jean-François Roberge !

1. Lisez la lettre de Suzanne-G. Chartrand 2. Lisez « Québec investit 450 millions pour la réussite » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion