Lorsque le solde budgétaire du gouvernement du Québec est positif, les sommes destinées au Fonds des générations (le Fonds) sont versées sans que cela ne crée de problème. Mais lorsque le solde budgétaire est négatif, le gouvernement doit quand même verser les sommes destinées au Fonds, ce qui augmente le déficit et les emprunts. Il se trouve dans la situation d’emprunter les sommes prévues pour diminuer la dette publique et, paradoxalement, à l’augmenter.

Ainsi, de 2010 à 2015, les déficits québécois sont passés de 7 à 12 milliards de dollars parce qu’il a fallu y ajouter les 5 milliards de dollars nécessaires pour compenser les versements au Fonds. Et on sait qu’à partir de 2020-2021, le Québec connaîtra de nouveau quelques années de déficit, aggravées par ses contributions au Fonds. Drôle de façon, en vérité, de gérer le budget et la dette !

Le Fonds et son effet de levier

Le rendement de la Caisse de dépôt et placement du Québec (DCPQ) étant supérieur au taux moyen des nouveaux emprunts du Québec, le gouvernement a voulu profiter de l’effet de levier ainsi créé. De fait, de 2007 à 2020, alors que le taux moyen des nouveaux emprunts fut de 3,2 %, le rendement moyen obtenu par la CDPQ fut de 5,9 %. Un écart positif de 2,7 %, ce qui n’est pas négligeable.

Cependant, cette stratégie n’est pas sans risque, et on a vu dans le passé les rendements de la Caisse connaître des revirements importants. C’est pour se prémunir contre de possibles variations négatives que le gouvernement actuel a utilisé, en 2018, 8 milliards de dollars de l’actif du Fonds pour rembourser une partie de la dette et annoncé qu’il ferait de même périodiquement dans l’avenir. Il n’y aurait donc plus accumulation de sommes dans le Fonds pendant des périodes indéfinies sans qu’elles ne servent directement au remboursement de la dette.

Est-ce que l’écart de 2,7 % par année en faveur des sommes gérées par la CDPQ par rapport au coût moyen des emprunts du gouvernement est déterminant si, par exemple, on effectue des paiements importants tous les cinq ans ? Que vaut par exemple un gain de 300 millions de dollars en intérêts contre une dette accrue de 3 milliards ?

Le Fonds, véhicule d’épargne ou de placement ?

Si les fonds du Fonds des générations étaient véritablement de l’épargne directe en vue de rembourser la dette, on comprendrait que la somme qui s’y trouve soit soustraite de la dette lorsqu’on présente celle-ci (comme c’est le cas actuellement), mais est-ce vraiment approprié ?

Pour justifier le recours à l’emprunt, on invoque une certaine équivalence comptable, à savoir que les sommes accumulées dans le Fonds viennent diminuer immédiatement le montant de la dette brute d’un montant équivalent. Par conséquent, les ajouts au Fonds compensent l’augmentation de celle-ci et retranchent ce qu’ils ajoutent au montant de la dette. Ce raisonnement de neutralité comptable tient du sophisme. La réalité, c’est qu’il faut emprunter pour couvrir ces versements et payer des intérêts. Peut-être les rendements de la CDPQ dépassent le coût des emprunts effectués, mais avouons qu’il s’agit d’un argument insuffisant pour justifier l’augmentation effective de la dette publique.

Ce n’est certainement pas de l’épargne lorsque le déficit s’en trouve augmenté et qu’il faut emprunter la somme à verser au Fonds. C’est géré comme un placement dont le rendement variera selon les rendements de la CDPQ.

Ce faisant, il faudrait peut-être reconnaître le Fonds pour ce qu’il est – un actif financier spéculatif – et cesser de faire comme si c’était de l’épargne pure et le déduire automatiquement de la dette. Cet artifice comptable ne se justifie pas.

Au fil des années, le Fonds est devenu un outil de placement et non un outil d’épargne pour rembourser la dette. Sa finalité semble de générer des revenus en acceptant d’augmenter la dette plutôt que de la diminuer.

Les voies d’action possibles

La vocation du Fonds est de contribuer à la réduction de la dette et, ce faisant, à l’amélioration de l’équité intergénérationnelle. Cet objectif justifie en soi le maintien du Fonds. Mais lorsque les versements au Fonds contribuent à augmenter la dette, on s’éloigne forcément du but poursuivi.

Deux modifications à la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (2006) s’imposent : d’une part, suspendre les versements au Fonds en cas de déséquilibre budgétaire et, d’autre part, prévoir qu’une proportion importante des sommes accumulées dans le Fonds devront servir à tous les cinq ans à une réduction directe de la dette. Dans le premier cas, la recherche de l’équité intergénérationnelle n’est pas compatible avec une dette augmentée pour alimenter le Fonds et dans le deuxième cas, cela permettrait de réaffirmer la finalité première du Fonds alors que de plus en plus de voix voudraient utiliser ces actifs considérables pour financer des projets de nature diverse.

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