Hier, à la télé, j’ai revu les images lancinantes du 11 septembre 2001. Les avions, les tours en feu, les New-Yorkais hagards, ben Laden dans sa grotte. Le tout (le grain de l’image, la numérisation qui datait) disait, pour moi qui ai vécu ces moments surréalistes en direct à la radio, à Indicatif Présent à Radio-Canada, que ce n’était plus du réel pas si lointain, MON réel, mais bien un moment définitif de l’Histoire. Ça m’a fait un choc.

On commémorera samedi les 20 ans de l’évènement qui aura marqué le début réel du XXIe siècle. Les attaques du WTC et du Pentagone signent le début de l’obsession sécuritaire, d’une nouvelle donne géopolitique, la fin de l’innocence. Ce n’était pas qu’une histoire états-unienne, mais un changement de paradigme occidental. Il y a un avant et un après 11-Septembre. Cet électrochoc a provoqué un durcissement mondial des pratiques de sécurité, un rebrassage des cartes internationales, une méfiance croissante envers l’Autre, de celui qui abandonne son espace national pour migrer. On peut même relier à cette date le germe de cette défiance grandissante de nombre de citoyens occidentaux envers leurs élites politiques et médiatiques, qu’ils accusent d’être déconnectées des populations.

Au cours des semaines ayant suivi le 11-Septembre, les États-Unis ont envahi l’Afghanistan suivant une analyse discutable de la situation, et, du coup, le monde est devenu un endroit plus dangereux. Fin août 2021, les images captées par une caméra infrarouge du dernier soldat quittant le sol afghan, vertes, abstraites et techno, viennent se superposer aux archives de 2001. La débandade et le retrait américain (et occidental) signent 20 ans de gâchis pendant lesquels le territoire de l’islam radical s’est étendu, où le terrorisme islamiste s’est répandu et dématérialisé, où des pays du Levant jadis fonctionnels sont aujourd’hui un champ de ruines fui par une partie de leurs habitants. Les États-Unis ont perdu de leur superbe et de leur influence dans le monde. La Chine en a gagné, y compris dans l’Afghanistan abandonné aux talibans. Les régressions populistes et la méfiance envers le pouvoir ont fait leur nid dans de nombreuses démocraties.

De nouvelles images en boucle, celles du départ chaotique des Occidentaux dans l’aéroport de Kaboul survolté, marquent le vrai début des années 20. Il serait faux – et fou – de croire que l’Histoire fait du surplace ou qu’elle hoquette. Que les vingt années qui se sont écoulées entre l’évènement fondateur et la traque de ben Laden dans les montagnes de l’Hindu Kush et l’abandon de l’Afghanistan marquent une parenthèse maintenant fermée par Joe Biden.

Non, le monde n’a pas fait un tour sur lui-même. La réalité est plus complexe. Dans les déserts pierreux et les spectaculaires paysages afghans, un monde nouveau et bouleversé est né. Une immense partie de la population mondiale, essentiellement hors de l’Occident, a moins de 20 ans, et est née et a grandi dans cette nouvelle réalité inquiète et agitée. Les injustices, TOUTES les injustices, tous les écarts, se sont creusés depuis 2001. La crise climatique est devenue suffocante, la sécurité des territoires, une donne habituelle. La pandémie s’est installée partout, créant des inégalités vaccinales nouvelles. Les natifs du XXIe siècle n’auront jamais connu l’insouciance (toute relative) de leurs aînés de plus de 20 ans…

Si les frontières du monde se durcissent et rétrécissent pour les Occidentaux inquiets, elles sont poreuses pour les terroristes, pour les pandémies, pour la pauvreté endémique. Les portes des pays riches se ferment et se murent de bureaucraties tatillonnes, mais les idéologies létales voyagent partout. Depuis longtemps, les talibans originaux, ceux de 2001, ont été dépassés sur le front de la férocité par des organisations bien plus terrifiantes et mortifères, comme Daech, l’État islamique, et toutes ses tentacules…

Aujourd’hui, l’Histoire continue de s’écrire, mais avec une encre plus sombre. Contrairement à ce que certains espéraient, les idéologies ne sont pas disparues à la chute du mur de Berlin en 1989, elles font maintenant leur nid sur le terreau du religieux. Pas plus que de croire que la fermeture de la « parenthèse afghane » marquera le retour à l’ordre « normal » des choses. Tous ceux qui ont assisté aux évènements du 11 septembre 2001 de près l’ont ressenti profondément ; le siècle qui commençait allait être sans merci. Sans vouloir offenser les familles qui ont vécu le drame indicible de perdre des êtres chers lors de ces attentats ce jour-là, la suite allait s’avérer au moins aussi dure.

Ne nous laissons pas berner par les lâchers de colombes commémoratifs. Ça prendra du courage pour affronter la suite, quelle qu’elle soit. Les années 20 qui viennent de débuter ne seront pas des années folles…

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