La reprise de l’Afghanistan par les talibans nous a tous émus, indignés et inquiétés. Mais pour les militaires qui y ont combattu (ainsi que pour leurs familles endeuillées), ces réactions sont encore plus intenses et complexes.

Rappelons-nous que plus de 40 000 soldats canadiens y ont été déployés sur le terrain. Ces hommes et ces femmes ont essuyé des tirs ennemis, vu des convois exploser, assistés à la mort de certains collègues, été témoins de scènes qui les ont marqués à jamais. Plus de 1400 y ont été gravement blessés et garderont des séquelles physiques incapacitantes. Plus de 150 y ont laissé leur vie. Cet engagement a duré de longues années durant lesquelles ces militaires ont combattu le terrorisme, participé à la stabilisation du pays, fait des actions humanitaires envers les plus faibles de sa population, et ce, souvent dans l’ombre.

Nous les accompagnons maintenant et sommes témoins de leur découragement et impression d’avoir combattu, été blessé ou perdu un être cher « pour rien ». Nous entendons leur indignation et leurs craintes face à la « victoire » de ceux qu’ils croient indignes de gouverner ce pays. Nous les aidons à gérer leur cynisme face à la politique internationale et leur impression d’avoir été profondément trahi. Nous constatons maintenant chez eux l’exacerbation de symptômes post-traumatiques douloureux, réactions parfois en rémission depuis des mois sinon des années.

Il faut comprendre que le sens donné à un évènement maximise ou non notre résilience face à l’adversité. Combattre en risquant sa vie en étant convaincu du bien-fondé de son action (même si elle ne diminue pas son potentiel violent) est associé à un sentiment de congruence avec ses valeurs. Lorsque c’est l’inverse, nous observons l’apparition de blessures morales, c’est-à-dire une violente confrontation de son code de conduite le plus intime et significatif, une impression d’avoir agi à l’inverse de ce qui paraît maintenant juste, bon, logique ou utile. Les recherches mettent en évidence les effets délétères des blessures morales chez les personnes ayant risqué leur vie ou ayant été témoins de scènes bouleversantes : en effet, ces personnes souffrent de symptômes post-traumatiques plus intenses et elles remettent douloureusement en question le sens de leur vie, de leurs actions passées ou futures, de leur valeur personnelle, du monde au sein duquel elles vivent. Elles souffrent aussi davantage de dépression, de prise d’alcool et de tentatives de suicide.

Les actions de nos militaires qui ont servi en Afghanistan n’ont pas été vaines. Les enfants qui les ont vus sécuriser les rues ont pu connaître une nouvelle paix sociale, ressentir du soulagement et ils rechercheront à nouveau ce sentiment à l’avenir.

Les habitants qu’ils ont soignés ont ressenti de la dignité et du respect dans ces gestes. De nombreuses petites filles et femmes auront eu un aperçu d’une possibilité de vie, de carrière, plus juste et elles aspireront à cette normalité à nouveau. Les missions canadiennes pourront avoir laissé une empreinte positive et durable dans ce pays et permettre à ses citoyens et citoyennes, déjà si résilients, de bâtir un pays à leur ressemblance, équitable pour tous (et toutes) afin de profiter enfin d’une harmonie sociale tant méritée.

Mais l’histoire nous apprend durement que les luttes pour les droits de la personne et des sociétés plus justes empruntent des chemins tortueux et complexes. Les militaires et leurs familles qui ont été de cette mission canadienne en Afghanistan le réalisent douloureusement et ont besoin, plus que jamais, de notre soutien et de notre reconnaissance à ce sujet.

* Pascale Brillon est aussi professeure au département de psychologie de l’UQAM

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