Il n’est pas toujours évident pour l’observateur étranger de bien décoder l’univers politique des Prairies. Souvent représentée comme un bloc conservateur et homogène, qui plus est dominé par les humeurs de l’Alberta, la région est toutefois bien plus complexe qu’elle ne le paraît à première vue.

Les remontrances de l’Ouest

Une part considérable de la population dans les Prairies est d’avis que le Canada moderne s’est construit en inféodant les intérêts économiques de l’Ouest à ceux du « corridor laurentien ». Il n’en demeure pas moins qu’au fil du temps, des cultures politiques très différenciées ont pris forme en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.

Pour la province de Jason Kenney, la plus populeuse des trois, un certain populisme, couplé à une sacralisation de la liberté individuelle et à une ferveur populaire pour préserver l’autonomie provinciale des griffes d’Ottawa, a fini par s’imposer. À l’est de celle-ci, la Saskatchewan va plutôt s’édifier sur des principes associés à l’importance de la communauté de première proximité et à une préférence pour un dirigisme étatique beaucoup plus prononcé qu’en Alberta. Aussi, sa scène politique est généralement associée à une forte polarisation dans les débats de société.

Quant au Manitoba, c’est plutôt l’esprit de la modération politique et idéologique qui prend le dessus. Dans cette province qui se trouve littéralement au milieu du pays – le centre longitudinal du Canada, 96° 48’35’’, est tout juste à l’est de Winnipeg –, le pragmatisme et le sens de la modestie règnent depuis longtemps. C’est le compromis qui fut scellé pour déplaire au moins grand nombre de gens dans cette province des Prairies marquée par la plus importante diversité sociodémographique.

L’électorat manitobain

Le groupe majoritaire anglophone a certes dominé le paysage politique du Manitoba, et ce, depuis l’échec du gouvernement provisoire des Métis, dirigé par Louis Riel, et la création de la province quelques mois plus tard, en 1870, par une simple loi votée au Parlement central à Ottawa. Mais les descendants des Métis qui s’étaient établis sur le bord de la rivière Rouge, additionnés à ceux des autres communautés autochtones avoisinantes, composent tout de même le quart de la population manitobaine aujourd’hui. En plus de la population franco-manitobaine, on trouve aussi une impressionnante diversité ethnoculturelle qui traverse la province, dont son importante communauté d’origine philippine.

En parallèle de cela, il faut aussi tenir compte des disparités socioéconomiques concentrées régionalement : si le centre-ville de Winnipeg est plutôt hétérogène, au nord-ouest de celui-ci on trouve les quartiers ouvriers et populaires, et au sud-est, les plus grandes fortunes. Les alentours de la capitale manitobaine rassemblent environ 60 % des circonscriptions fédérales. Mis à part Brandon, la deuxième ville de la province, les autres circonscriptions rurales sont habitées surtout par des agriculteurs ainsi que des communautés autochtones plus au nord. C’est pourquoi, comparés par exemple à la Saskatchewan, l’économie et le profil socioéconomique de la province sont davantage diversifiés.

Les principales batailles électorales

Le Manitoba envoie 14 députés fédéraux le représenter à Ottawa – un contingent bien marginal en comparaison du Québec (78) ou de l’Ontario (121).

Qu’à cela ne tienne, dans le contexte actuel où trois principaux partis se partagent l’électorat canadien et où remporter une majorité s’avère plus difficile qu’autrefois, chaque circonscription compte. C’est la raison pour laquelle les chefs des trois principaux partis ont déjà fait un arrêt à Winnipeg.

Les trois leaders ne s’adressent d’ailleurs pas aux électeurs de la même manière : le NPD et le Parti libéral courtisent surtout l’électorat urbain, les conservateurs dirigent quant à leur attention vers les circonscriptions davantage rurales. Il s’agit des endroits où ils ont respectivement bien performé par le passé : en 2019, le NPD a fait élire 3 députés, les libéraux 4, et les conservateurs 7. Selon toute vraisemblance, le portrait ne devrait pas changer de façon draconienne le 20 septembre prochain.

Or, dans quelques circonscriptions, de chaudes luttes sont actuellement disputées. D’abord, dans Charleswood—St. James—Assiniboia—Headingley, les sondages indiquent que les candidats conservateur et libéral arrivent à égalité. Si le candidat conservateur, Marty Morantz, part avec un léger avantage en tant qu’actuel représentant de cette circonscription, il affronte néanmoins le libéral Doug Eyolfson, qui l’a précédé comme député fédéral de 2015 à 2019.

Un scénario similaire se produit dans Winnipeg-Sud : cette fois, les libéraux tentent de conserver le siège qu’ils ont pris aux conservateurs en 2011. De même, une course à trois s’annonce dans Winnipeg-Nord entre libéraux, conservateurs et néo-démocrates.

Les malheureux propos de Brian Pallister

Normalement, le fait que la province soit dirigée par le Parti progressiste-conservateur aurait dû avantager les conservateurs fédéraux d’Erin O’Toole. Par contre, avant d’annoncer qu’il se retirera de la vie politique active cet automne, le premier ministre manitobain, Brian Palister, a accumulé les scandales, alors qu’il peinait à aborder les enjeux autochtones sans s’attirer systématiquement la gronde populaire. Même s’il s’agit de deux formations politiques distinctes, la mauvaise presse que s’est attirée Pallister en raison de sa gestion de la pandémie ainsi que des dossiers autochtones et environnementaux a certainement ajouté des obstacles au travers de la course des bleus fédéraux. D’autant plus qu’il s’agit de certains des enjeux que les Manitobains considèrent comme les plus importants pour la présente élection fédérale.

À l’inverse, sur la scène provinciale, les néo-démocrates récoltent actuellement près de 50 % des intentions de vote. Mais attention : cet enthousiasme ne se traduit pas nécessairement d’une arène politique à l’autre !

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