Maintenant que les talibans ont repris Kaboul et, de facto, le contrôle politique de l’Afghanistan après une offensive qui restera dans les annales comme l’un des plus grands fiascos militaires de l’histoire d’une armée équipée à coup de milliards de dollars pendant 20 ans, plusieurs questions méritent d’être posées.

En effet, doit-on craindre un retour en force des groupes terroristes dans le pays qui pourront désormais profiter d’un territoire à partir duquel ils pourront s’organiser et mener leurs actions contre l’Occident ? Doit-on croire à la promesse d’une administration talibane davantage soucieuse des droits de la personne que celle qui a dirigé le pays de 1996 à 2001 ?

Talibans et terrorisme

Après avoir laissé Al-Qaïda et les hommes d’Oussama ben Laden opérer en toute quiétude à partir de l’Afghanistan, les talibans se sont depuis engagés à couper tout lien avec des groupes terroristes : condition sine qua non exigée par les Américains dans leurs négociations avec leurs représentants à Doha et qui a mené à l’accord de paix signé en février 2020. Que doit-on penser de cette promesse ? Existe-t-il un risque que les combattants de l’État islamique (Daech), qui ne contrôlent plus de territoires depuis leur défaite en Syrie et en Irak, puissent reproduire les liens de collaboration qui existaient jadis entre les talibans et Al-Qaïda : risque d’autant plus crédible après que les talibans eurent libéré de la prison de Bagram près de 5000 prisonniers, dont plusieurs commandants d’Al-Qaïda et de l’État islamique ?

Il est important d’apporter un bémol à ce risque potentiel qui repose sur le fait que les talibans et l’État islamique sont aujourd’hui des entités ennemies, et ce pour des raisons diverses qui ne peuvent être discutées ici.

En fait, parmi les détenus libérés de la prison de Bagram, les talibans n’ont pas hésité à exécuter l’ancien émir de l’État islamique en Afghanistan.

Cette tension entre ces deux groupes explique d’ailleurs pourquoi la Russie et la Chine se sont empressées de nouer des liens diplomatiques avec les talibans dans l’espoir que ces derniers seront en mesure de continuer à lutter contre les radicaux de Daech en collaborant avec Moscou et Pékin sur la question de la gestion des frontières de l’Afghanistan dans l’Ouest de la Chine et avec le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan dans le but d’empêcher que ces points de passage ne deviennent des passoires à terroristes. Pour le dire autrement, les talibans apparaissent aujourd’hui, et de manière extrêmement paradoxale, comme étant la principale garantie contre un débordement du djihadisme dans la région.

Cela étant dit, un rapport de l’ONU publié en mai dernier a tout de même montré les liens étroits qui continuent à exister entre les talibans et Al-Qaïda, en particulier les membres du très puissant réseau Haqqani, considéré comme terroriste par Washington et dont le chef serait le numéro 2 des talibans. En ce sens, il serait irresponsable d’affirmer que les talibans se sont complètement dissociés du terrorisme transnational. La menace demeure bien réelle.

Des talibans 2.0 ?

Qu’en est-il maintenant de la promesse des talibans de gouverner d’une manière différente de la période 1996-2001 et de leur engagement à ne pas mener une purge contre ceux et celles qui ont collaboré avec les Occidentaux ? Force est d’admettre que ces promesses cachent néanmoins de nombreux rapports faisant état d’exactions commises contre des femmes où plusieurs ont été forcées d’épouser des combattants talibans ainsi que contre d’anciens membres de l’armée nationale afghane qui ont été soient exécutés sommairement ou qui ont tout simplement disparu dans la nature.

Ces actions sont-elles l’indication de ce qui se dessine à l’horizon ou tout simplement des gestes sporadiques et momentanés dans un contexte immédiat de fin de conflit, comme ce fut le cas à d’autres époques, comme lors de la libération de la France en 1944 ?

Il est difficile de répondre à cette question à l’heure actuelle.

Donnons le bénéfice du doute aux dirigeants du mouvement taliban et acceptons leur sincérité à vouloir amnistier les anciens collaborateurs et imposer un système théocratique moins rigoriste que celui qui avait cours entre 1996 et 2001. Or, le succès de cette entreprise demeure tributaire de la capacité du mouvement à centraliser sa prise de décisions, ce qui n’est guère le cas à l’heure actuelle et ce qui explique les exactions commises récemment par certains talibans et qui contredisent le message officiel des dirigeants du mouvement.

La question est donc de savoir si ces derniers seront en mesure d’en arriver graduellement à une centralisation du mouvement et, de ce fait, assurer un plus grand contrôle sur leurs membres. En revanche, cette tentative peut néanmoins en arriver à créer des dissensions et entraîner une radicalisation de certains membres qui en viendront à accuser les dirigeants d’un manque de sincérité envers la cause.

* Jean-François Caron est l’auteur de L’Occident face au terrorisme : regards critiques sur 20 ans de lutte contre le terrorisme (Presses de l’Université Laval)

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