(Winnipeg, Manitoba) Justin Trudeau a fait un pari risqué en allant cogner à la porte de la gouverneure générale afin de déclencher des élections fédérales : convaincre les électeurs de lui confier une majorité parlementaire, ou à tout le moins de le maintenir à la tête d’un gouvernement minoritaire. Sans conteste, son avenir politique est en jeu. C’est aussi vrai pour les autres leaders.

La nature de notre système électoral favorise ce qu’on appelle un « bipartisme imparfait », où deux principaux joueurs se partagent l’essentiel des sièges, et où l’un d’entre eux parvient souvent à en remporter la majorité dès qu’il s’approche de la barre des 40 % de votes. Or, cette « imperfection » se traduit néanmoins par des évènements comme la vague orange de 2011, et ouvre la voie à ce qu’un parti régional antisystème, comme le Bloc québécois, soit en mesure de performer extrêmement bien en concentrant ses efforts dans une seule province.

Bipartisme et succès libéral

La démocratie canadienne favorise aussi les partis centristes, lesquels sont en mesure d’aller chercher la pluralité des appuis dans les diverses circonscriptions, aux dépens des formations aux contours idéologiques plus affirmés ou radicaux, dont le soutien diffus au pays les désavantage. Or, contrairement aux États-Unis, le bipartisme imparfait, ici, n’a pas donné lieu à une arène politique où l’un des deux grands partis représente la gauche, l’autre la droite.

Le Parti libéral a réussi à se positionner au centre – moyennant quelques slaloms idéologiques conjoncturels –, tout en s’appuyant sur des châteaux forts électoraux dans le corridor laurentien : la région canadienne la plus peuplée, donc la plus payante en termes de sièges.

Toutefois, ces mouvements de fond ne garantissent en rien le succès du premier ministre sortant à l’issue du scrutin du 20 septembre prochain. Aussi, d’autres figures, comme Chrystia Freeland, ont déjà gagné en popularité et en crédibilité ces derniers temps, au point de faire de l’ombre au premier ministre et d’apparaître comme une cheffe en attente. Mais le siège de Justin Trudeau aux commandes de sa formation politique n’est pas le seul qui soit éjectable.

Les élections, ou comment faire tomber des têtes

Mis à part le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui est bien en selle, les leaders des autres principaux partis politiques jouent actuellement leur avenir politique. Blanchet ne l’aura pas facile pour autant : la récente entente asymétrique avec le Québec concernant un financement fédéral de 6 milliards pour renforcer son réseau de services de garde et l’acceptation tacite de Trudeau que le Québec puisse modifier sa Constitution interne en y inscrivant qu’il forme une nation distincte lui enlèvent certaines des munitions qu’il aurait aimé utiliser pour mousser le vote indépendantiste et autonomiste. De plus, le fait que François Legault ne semble pas parti pour attaquer vertement Justin Trudeau risque de rendre la tâche des bloquistes beaucoup plus ardue. Or, à moins d’un résultat comparable au désastre de 2011 – ce qui serait surprenant à la lumière des sondages récents –, les membres du Bloc devraient maintenir leur tribun à la tête de leur formation.

Erin O’Toole peut se vanter d’avoir récolté d’importants dons afin de nourrir la caisse électorale du Parti conservateur ; laquelle est beaucoup mieux garnie que celles de ses adversaires. Par contre, celui qui a remplacé Andrew Scheer en remportant une course à la direction atone peine toujours à se faire (re)connaître du public. Le « Parlement pandémique » lui a coûté la couverture médiatique qu’il aurait espéré avoir depuis qu’il a pris les rênes du parti. Aussi, après s’être présenté comme le candidat d’une certaine continuité de la gouvernance Harper, afin de se distancier du centriste Peter Mackay, son principal rival dans la course à la direction de 2020, il a depuis tenté de se réconcilier avec les positions de ce dernier. Résultat : la base militante d’O’Toole est divisée et son leadership est miné.

À moins qu’un gouvernement libéral minoritaire très fragile soit formé, si O’Toole ne remporte pas les élections ou n’accroît pas significativement le nombre de sièges conservateurs, son leadership sera assurément contesté à l’interne.

Quant à Jagmeet Singh, on peut présumer que les militants de son parti ne le laisseront pas à la tête de la formation, après le désastre connu en 2019, à moins qu’il ne gonfle substantiellement les rangs du caucus néodémocrate à Ottawa. S’ils ont été plus cléments à son égard qu’ils ne l’ont été vis-à-vis du redoutable Thomas Mulcair, au lendemain des élections de 2015, son avenir politique, cette fois, demeure très incertain. D’autant plus qu’il ne s’est pas fait beaucoup d’amis au Québec ces dernières années.

Enfin, il semble aller de soi que la cheffe des verts, Annamie Paul, connaîtra un bilan électoral assez difficile. Certes, elle a évité le pire lorsqu’a été annulé le vote de confiance à son égard après qu’elle eut défié la raison en s’obstinant à ne pas condamner les propos de Noah Zatzman, son (ancien) proche conseiller politique. Ce dernier avait cru raisonnable d’attaquer publiquement les (quelques !) députés verts d’avoir porté des propos qu’il jugeait antisémites, après qu’ils eurent dénoncé l’« apartheid israélien ». Or, si la lune de miel d’Annamie Paul a été de courte durée après avoir remplacé Elizabeth May en octobre 2020, sa présence à la tête du parti risque elle aussi d’être écourtée.

Les leaders sont tous assis sur des sièges éjectables. Mais contrairement à ceux qu’on retrouve dans les avions militaires, en politique, ce n’est pas toujours le pilote qui l’active !

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