Les Canadiens se rendront vraisemblablement aux urnes le 20 septembre afin d’élire le prochain contingent de députés qui siégeront à Ottawa. Le Parti libéral de Justin Trudeau, le Parti conservateur d’Erin O’Toole et le Nouveau Parti démocratique de Jagmeet Singh aspirent tous à former le prochain gouvernement. En plus de devoir continuer à gérer la pandémie de COVID-19, de nombreux défis guettent le prochain locataire du 24, promenade Sussex. 

Comme je le montre avec Evelyne Brie dans mon tout nouveau livre1, le Canada est un pays divisé face à de nombreux enjeux : le processus de réconciliation, l’environnement, le programme de péréquation, etc. Les différents candidats, et surtout les leaders des partis politiques, doivent en tenir compte dans les promesses électorales qu’ils s’apprêtent à formuler. Ils devront être habiles dans la façon dont ils manieront les principaux points de tension qui divisent l’électorat d’une région à l’autre. Dans le même temps, il leur incombe de ne pas trop s’éloigner des raisons fortes qui rassemblent leurs bases partisanes respectives : après tout, les militants sont une ressource très importante pour faire « sortir le vote ».

Le processus de réconciliation

« L’avant-match » électoral était bien amorcé quand Justin Trudeau a nommé Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada le 26 juillet dernier, la première personne d’origine autochtone à représenter la Couronne canadienne. C’était une manière pour lui d’inscrire une action concrète à son bilan en matière de réconciliation après en avoir déçu beaucoup depuis qu’il avait annoncé, en 2015, qu’il s’engageait – en vain – à mettre en œuvre l’essentiel des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation (CRV).

À cet égard, les sondages révèlent qu’une imposante majorité de Canadiens se disent d’accord avec les recommandations de la CRV (les Québécois étant souvent au-dessus de la moyenne canadienne). Toutefois, pour séduire l’électorat des Prairies, les partis devront prendre en compte qu’en fonction des recommandations (comme l’établissement d’un cursus obligatoire traitant des communautés autochtones), entre le quart et le tiers de la population de la région s’y oppose. On décèle déjà une ligne de fracture entre, d’une part, les discours prodiversité que mettront en avant les libéraux et le NPD et, d’autre part, celui des conservateurs, plus favorables à une conception traditionnelle du Canada.

L’environnement

Si l’importance politique accordée au dossier de l’environnement en a pris pour son rhume alors que la pandémie faisait rage, il ne faudrait surtout pas sous-estimer l’appétit considérable de la population pour une action forte et résolue en matière de lutte contre les changements climatiques. C’est d’ailleurs l’un des enjeux sur lesquels les 18-34 ans au pays semblent les plus mobilisés, alors que le Québec, toutes générations confondues, représente la province qui talonne le plus le gouvernement fédéral d’agir sur ce front. Dans tous les cas, il s’agit d’un clou sur lequel le Bloc québécois tapera à répétition, alors qu’il ne se gênera pas pour rappeler les reculs et les incohérences du gouvernement libéral en matière de lutte contre les changements climatiques (pensons au dossier Trans Mountain).

Les habitants des Prairies se démarquent quant à eux par leur opposition franche à des mesures comme une « taxe carbone » administrée par le fédéral – 59 % des Saskatchewanais et 55 % des Albertains s’y opposent –, tout en exigeant dans une forte proportion qu’Ottawa en fasse davantage pour aider le secteur énergétique et pétrolier (79 % en Alberta, contre 39 % seulement au Québec).

Or, les habitants de la Belle Province se réconcilient néanmoins avec ceux de l’Ouest canadien en préconisant également une plus grande décentralisation des pouvoirs dans la fédération. Ce qui annonce cette fois une ligne de fracture avec l’Ontario et les provinces maritimes, plus favorables à l’interventionnisme fédéral.

Les finances publiques et la péréquation

Il ne sera pas simple pour le NPD de marquer des points en insistant sur l’importance d’un filet social encore plus généreux. D’une part, il fait face à un gouvernement libéral sortant qui a osé des déficits records pour venir en aide aux Canadiens pendant la pandémie. D’autre part, s’il milite pour de plus grands déficits et une politique sociale plus ambitieuse, il sera une cible facile pour les conservateurs, alors que les libéraux pourront se féliciter de représenter un « juste équilibre » entre ces deux pôles (touchant ici un puissant marqueur identitaire et culturel chez l’électorat canadien).

Aussi, le thème de la péréquation va très certainement s’inviter dans la campagne électorale, au moment où les conservateurs de Jason Kenney, en Alberta, veulent contraindre Ottawa à revoir la formule déterminant quelles provinces reçoivent des paiements fédéraux. Si l’écrasante majorité des Canadiens (83 %) soutiennent ce programme, plus du tiers des Albertains et des Saskatchewanais s’y opposent.

Faire campagne dans un pays divisé comme le Canada, cela signifie décevoir certains habitants en espérant séduire une autre partie de l’électorat, souvent concentrée dans certaines régions clés. Mais cela peut aussi vouloir dire chercher à formuler des compromis. Cette carte peut être payante, mais attention : le manque d’orientations clairement définies peut tout aussi en venir à décevoir tout le monde.

Un pays divisé – Identité, fédéralisme et régionalisme au Canada, Presses de l’Université Laval, collection Diversité et démocratie (à paraître en septembre 2021). Les statistiques ci-présentées proviennent du livre.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion