Dans la dernière année seulement, près du quart des personnes ayant un trouble lié à la consommation de substances au Canada ont également fait face à un trouble de l’humeur ou à un trouble anxieux. Or, l’obtention d’un traitement pour ces deux types de problèmes peut s’apparenter à une marche sur une corde raide et nécessiterait un exercice d’équilibrisme entre deux systèmes distincts. En effet, même s’ils partagent certains points de contact, les soins de santé mentale et les services d’usage de substances fonctionnent en vase clos.

Depuis ma récente entrée en fonction, je me suis très vite rendu compte de cette réalité. Sur le plan professionnel, j’ai pu constater les raisons idéologiques, politiques et pratiques expliquant ce clivage. Ces deux domaines ont affronté des vents contraires, dans l’ombre de la maladie physique, au sein d’un système qui les met en compétition, plutôt que de favoriser la collaboration.

Sur le plan personnel, je n’ai pas lésiné sur les cours accélérés pour en apprendre davantage sur les réalités que vivent les personnes ayant un savoir expérientiel des problèmes de santé mentale et de consommation de substances. De l’affliction ressentie à la suite de la perte par suicide d’un ami proche au profond deuil vécu après la mort de mes parents, j’ai appris l’importance de faire appel aux services qui peuvent nous soutenir dans nos moments éprouvants. En ce qui concerne la consommation de substances, j’ai vu des amis et des membres de ma famille souffrir de cette stigmatisation qui empêche souvent la demande d’aide et j’ai été témoin des défis qu’ils ont rencontrés pour obtenir des soins appropriés lorsqu’une maladie mentale est à l’origine de leur consommation de substances.

Mais la plus grande leçon que j’ai apprise en discutant avec des experts et des personnes ayant un savoir expérientiel est la suivante : le statu quo doit changer.

À l’approche de possibles élections, affermis d’une détermination nouvelle à promouvoir la santé mentale et à lutter contre la consommation problématique de substances, nous avons l’occasion de remettre en cause des méthodes désuètes et de réinventer les pratiques afin de mieux répondre aux besoins des personnes en quête de soins.

Un meilleur alignement entre santé mentale et consommation de substances pourrait profiter à ces deux domaines. Mais avant de m’attarder à cette question, il fallait d’abord que je creuse pour découvrir quelles étaient les différences qui nous maintenaient à l’écart les uns des autres.

En raison de la stigmatisation et du sous-financement, les milieux de consommation de substances ont jusqu’à tout récemment prôné un modèle dirigé par les pairs qui met l’accent sur l’expérience passée et repose plutôt sur une démarche purement médicale. Cette philosophie témoigne d’une méfiance à l’égard du système médical et, par extension, d’une prudence à l’égard du secteur de la santé mentale.

Fait intéressant, un thème commun commence à émerger. La communauté de consommation de substances a entrepris un virage vers l’adoption d’approches médicales fondées sur des données probantes, avec le traitement par agonistes opioïdes, par exemple, pendant que le domaine de la santé mentale se tourne vers le soutien par les pairs et les services communautaires, ce qui montre que chacun a la possibilité d’apprendre de l’autre.

La maladie mentale, bien qu’historiquement sous-financée et incomprise, a récemment été soulevée par une vague de prise de conscience, alimentée par des professionnels influents et des personnalités connues qui ont réclamé un financement accru et des traitements améliorés. Cet élan a suscité une grande volonté politique de plaider pour des traitements et des mesures de soutien de santé mentale et d’investir dans ceux-ci.

La prestation de services en lien avec la consommation de substances, en revanche, est encore souvent perçue sous un angle punitif, ce qui l’assujettit à une stigmatisation encore plus pernicieuse.

Alors que d’importantes percées ont été réalisées dans la normalisation de la maladie mentale à la faveur de campagnes de sensibilisation concertées, le secteur de la consommation de substances n’a commencé que récemment à enregistrer de tels progrès.

Dans le domaine de la santé mentale, on entend généralement par rétablissement le fait de mener une vie valorisante, nourrie par l’espoir, en dépit des inconvénients et des symptômes causés par la maladie mentale. Pour ce qui est de la consommation de substances, le rétablissement a longtemps été considéré comme synonyme d’abstinence, avec de nombreux services refusés aux personnes qui consommaient des substances.

Il n’est pas exagéré d’affirmer que ces tensions ont longtemps teinté les interactions – sur le plan des politiques, de la planification et de la prestation des soins – et que les utilisateurs de ces services ont essuyé la facture la plus élevée. Toutefois, en nous réorientant vers des buts communs, nous pouvons créer ensemble des cheminements de soins répondant mieux aux besoins des personnes, de l’atténuation des répercussions d’expériences négatives vécues durant l’enfance à la promotion du logement sécuritaire et abordable.

Nous avons beaucoup à gagner à adopter une nouvelle perspective d’unité… Si nous avons un esprit de curiosité, d’ouverture et de courage, même nos différences les plus profondes ne seront plus insurmontables.

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