Bien sûr que le passeport vaccinal « discrimine », mais lorsque la discrimination peut rationnellement se justifier, elle n’est pas immorale ou illégitime

Depuis de nombreuses semaines, beaucoup de Québécois s’insurgent contre l’idée d’imposer un passeport vaccinal au Québec. Les figures politiques à saveur libertarienne comme Éric Duhaime et Maxime Bernier se sont faites particulièrement bruyantes, affirmant que le passeport vaccinal créerait deux classes de citoyens, qu’il opérerait ainsi une discrimination et que cette discrimination justifierait d’exclure cette mesure de l’arsenal du gouvernement.

Le passeport vaccinal est-il discriminatoire ou non ? Cette question crée un faux débat. Elle implique que l’absence de caractère discriminatoire d’une mesure constitue un indicateur significatif de sa légitimité ou de sa moralité, et vice-versa. Pourtant, la discrimination, dans son sens premier et littéral, est une méthode fréquemment utilisée et communément acceptée en société. Il est monnaie courante d’opérer une différence de traitement entre deux ou plusieurs éléments ayant des caractéristiques différentes qui affectent leur valeur : on risque davantage d’engager le professionnel ayant 20 ans d’expérience par rapport à l’apprenti ; à qualité égale, on achètera le produit le moins cher ; on sera davantage enclin à socialiser avec ceux qui partagent nos intérêts ; on versera des prestations d’aide sociale uniquement aux personnes qui satisfont certains critères afin d’éviter autant que possible la mauvaise utilisation des fonds publics.

Pour qu’une mesure discriminatoire puisse être qualifiée d’immorale ou d’illégitime1, elle doit se fonder sur un motif de discrimination irrationnel en ce que cette discrimination ne permet pas d’accroître l’accomplissement de la fin légitime pour laquelle elle s’opère en premier lieu.

C’est ainsi qu’une discrimination fondée sur la race sera toujours immorale en ce qu’elle opère une différence de traitement entre deux individus même si ce motif n’a logiquement aucune répercussion sur les habiletés, les qualités, les défauts, la personnalité de ces deux individus.

Bref, lorsqu’elle peut rationnellement se justifier, une discrimination n’est pas immorale ou illégitime. La question du caractère discriminatoire du passeport vaccinal n’est donc d’aucun secours dans l’appréciation de l’opportunité ou de la légitimité de la mesure. Bien sûr que le passeport vaccinal « discrimine » !

Pour régler l’enjeu du passeport vaccinal, il faut plutôt se demander si le fait d’exclure les individus non vaccinés de certains lieux publics permet logiquement de réduire la transmission de la COVID-19 et si les effets délétères de la mesure sur les libertés fondamentales des citoyens tendent à en surpasser les bénéfices sur la santé publique.

Je n’ai pas la réponse à cet exercice de pondération et il pourrait être soutenu que personne ne l’a. La science n’est science que par la vérification et la répétition d’expériences qui viendront confirmer ou infirmer des hypothèses. Or, le caractère inusité de la pandémie actuelle laisse peu de place à la répétition et à la vérification d’hypothèses : le phénomène se déroule en temps réel et la communauté scientifique est bien plus occupée à tenter de limiter les pertes humaines qu’à effectuer des expériences potentiellement mortelles pour vérifier des hypothèses de recherche.

Ceux qui sont fondamentalement opposés à la mise en place d’un passeport vaccinal ont une tout aussi grande légitimité dans ce débat aux données incertaines que ceux qui y sont en faveur. Toutefois, répondre à la question de savoir si le passeport vaccinal discrimine ou non ne sera aucunement déterminante ni utile à une analyse du mérite de la mesure.

1 : Je ne traite pas ici de la légalité du passeport vaccinal au regard notamment des articles 10 et 15 de la Charte québécoise ou de l’article 7 de la Charte canadienne. Ma réflexion porte plutôt sur la « moralité » ou la « légitimité » de la mesure d’un point de vue critique. Je laisse les discussions sur la légalité du passeport à d’autres intervenants. Le juriste aguerri comprendra toutefois que mon analyse critique s’inspire du cadre d’analyse de la constitutionnalité des restrictions aux droits fondamentaux en matière de chartes.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion